A la biennale du quatuor à cordes, le quatuor Borodine dans ses fondamentaux russes!

Le quatuor Borodine © Simon Van Boxtel


Cela fait partie des rendez-vous désormais incontournables de ce début d’année: pendant dix jours à la Philharmonie de Paris la biennale du Quatuor à cordes réunit les meilleurs ensembles dans ce genre musical sans doute le plus exigeant par sa forme. Notre choix: le quatuor Borodine, un des plus anciens.

Les Borodine qui n’étaient pas les invités d’honneur! Il y en a un chaque année, souvent un compositeur, en 2022 Dvorak, en 2020 Beethoven (une Biennale qui avait eu lieu avant le Covid) Il est vrai qu’on était là avec deux compositeurs qui ont tant donné à ce genre, Dvorak en ayant écrit 14, Beethoven 16 et la “Grande Fugue”. Dépassé seul par Mozart et surtout Haydn, presque rattrapé par Schubert (15) et Chostakovitch (15 aussi). L’unique “Quatuor” de Debussy comme l’unique de Ravel font pâle figure, tout chefs-d’oeuvre qu’ils soient.

Donc pour cette année c’est un quatuor mythique qui a été à l’honneur, le quatuor Kronos, fameux par toutes les commandes faites à des compositeurs contemporains et qui, fêtant ses 50 ans, en a profité pour commander aussi 50 nouvelles oeuvres à partager avec de jeunes professionnels et des étudiants. Autour d’eux, ou plus tard, ce mélange toujours émouvant de formations déjà célèbres et de nouvelles pousses qui montre combien, malgré son exigence, cet univers est bien vivant. Les Hagen, les Casals, les Diotima, les Modigliani, les tout jeunes Leonkoro, Akilone, Agate, dont le concert de clôture dimanche, autour des “Modi”, aura montré la richesse en devenir.


Le plus ancien quatuor du monde…


Le quatuor Borodine, lui, s’enorgueillit d’être le plus ancien en activité. Il fut effectivement fondé en 1945. Oui mais… bien sûr ce ne sont plus aujourd’hui les mêmes musiciens, même si Valentin Berlinsky, le violoncelliste, y resta jusqu’en 2007. 62 ans! Rudolf Barchaï, l’altiste mythique (je thésaurise son enregistrement du “Harold en Italie” de Berlioz que dirigeait pour l’occasion son grand ami violoniste, David Oïstrakh), posa lui aussi les bases de cet ensemble dont le premier titre de gloire fut sa collaboration avec Chostakovitch, ce qui n’était pas toujours évident dans ces temps de glaciation. Et si les deux quatuors entendus ce soir-là furent créés par d’autres quatuors…

Il n’empêche: c’est l’ADN des Borodine, qui ont d’ailleurs enregistré il y a quelques années l’intégrale du maître. Les deux proposés ont la qualité de bien représenter les styles de Chostakovitch, de plus en plus sombres et fantomatiques. Le 1er quatuor est déjà assez tardif. Ecrit en 1938, en un temps où déjà Chostakovitch devait donner des gages, après le rappel à l’ordre de “Lady Macbeth de Mzensk” Fini l’insouciance joyeuse et révolutionnaire, place au classicisme pour plaire au maître du Kremlin, Staline, mais à la manière de “Chosta”, souvent sur des rythmes un peu rêveurs, de valse lente, en espérant '( la “5e symphonie” faisait déjà la preuve d’un retour à une écriture classique) que ce genre plus confidentiel du quatuor pût échapper aux foudres du “grand mélomane” qui se faisait jouer Mozart en direct pour dissiper ses insomnies.

Le “9e quatuor”, en 5 parties, dans cette période (1964) où l’URSS n’était pas encore retournée à l’immobilisme des années Brejnev, est un concentré de ces ritournelles obsessionnelles, de ces mouvements au limite du silence, de ces suspensions où le poids des notes symbolise le poids des âmes, où l’on revient, dans une forme qui n’est pas loin du dodécaphonisme, sur l’angoisse du futur s’il ressemble au passé, dans une incertitude où même les figures proches du cirque ou du cabaret se parent d’une angoisse sourde. Comme si aussi ce n’était plus l’environnement politique qui obsédait le musicien mais sa vie entière, où il avait assisté à tant de drames cumulés dont les ombres mauvaises ne parvenaient pas à le laisser en paix.

Les Borodine © Nikita Sharpan

Cohérence admirable, passage de relais, beauté des interventions de l’alto ( Igor Naidin), autorité du 1er violon (Nikolaï Sachenko) qu’accepte, étonnamment à l’écoute, le 2e violon (Sergueï Lomovsky) Et des échanges de Sachenko et de Vladimir Balchine, le violoncelliste, encore plus dans le “2e Quatuor” de Tchaïkovsky (on se demande parfois dans celui-ci ce que font les deux autres)

Et, c’est la marque des Borodine, en laissant couler la musique simplement, de sorte qu’on regrette parfois trop de pudeur, même dans Chostakovitch. Evidemment le bouillant lyrisme de Tchaikovsky peut faire des ravages. Mais justement: ce quatuor qu’adorait le compositeur et qui, dès la création, connut un épatant succès, nous a paru construit autour de mélodies (la grande force de Tchaïkovsky) qui sonnaient russes mais pas assez, ou non russes mais quand même… On reprochait à l’époque (et même plus tard)à Tchaïkovsky d’être trop occidental. Ce qu’il compensait par des thèmes d’une couleur slave à faire pleurer. Dans ce quatuor il fait le grand écart et c’est un peu bizarre même si l’ampleur du propos (40 minutes) ne lasse jamais grâce au métier. Mais voilà: on fredonnera d’autres oeuvres. Et cependant il y a dans ce quatuor ce mouvement lent où le coeur russe est posé sur la table, devenu si célèbre, et dont les Borodine (pourquoi non?) se gardent bien d’exagérer le lyrisme.

En bis un petit Rachmaninov qui fait toujours son effet, ce que Pierre Boulez ne comprenait évidemment pas. Mais “c’est une musique so sexy” lui avait répondu André Previn. Toute la Russie à travers ces trois maîtres. La Russie qu’on aime. De l’intelligence, du coeur et de l’émotion.


Chostakovitch (Quatuors à cordes n° 1 et 9). Tchaïkovsky (Quatuor n° 2) Quatuor Borodine le 17 janvie. Dans le cadre de la Biennale du Quatuor à cordes à la Philharmonie de Paris.




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