Véronique Gens Iphigénie de Desmarets, compositeur de Louis XIV

Véronique Gens était ces jours-ci au Théâtre des Champs-Elysées l’Iphigénie d’Henry Desmarest, compositeur un peu oublié du Grand Siècle. Entourée de brillants camarades sous l’autorité d’Hervé Niquet et de son Concert Spirituel.



Floriane Hasler (Diane) et Hervé Niquet © Cyprien Tollet/ Théâtre des Champs-Elysées





C’était d’ailleurs un Concert Spirituel en grand effectif que nous avons vu à l’oeuvre, avec des bois en particulier très nombreux, autour du petit continuo qui formait le coeur de l’orchestre. Au passage on notera avec intérêt le souci de Niquet d’intégrer à sa formation les étudiants des classes de musique ancienne du Conservatoire régional, pour mieux rendre l’ampleur d’une oeuvre qui durait largement ses deux heures et demie, Desmarest ayant inséré divers divertissements qui pouvaient être vus aussi comme un hommage nécessaire et presque obligé au Roi-soleil.



Véronique Gens © Cyprien Tollet/ Théâtre des Champs-Elysées




C’est ainsi par exemple que tout le début de l’opéra nous distrait en chants et danses du peuple de Délos (belles interventions du choeur et de jeunes solistes à suivre, tels le ténor Antonin Rondepierre ou la soprano Jehanne Amzal qui sera plus tard la confidente d’Iphigénie) qui, brusquement, s’adresse à Jupiter (ces Grecs utilisant le nom romain des dieux, étrange confusion!), comme “au Dieu qui protège les Arts, prince de la paix mais qui sait prendre l’épée”. En cette année 1704 où un Louis XIV vieillissant rencontrait pas mal de difficultés intérieures et extérieures la flagornerie était un passage obligé des courtisans, même artistiques.

On ne sait d’ailleurs pas trop comment l’on passe de Délos, en pleine Cyclades, à la Tauride, qui est l’actuelle Crimée mais un opéra doit-il avoir quelque cohérence? L’important c’est d’y retrouver une Iphigénie d’ailleurs fort peu présente dans cette première partie (une seule intervention pour Gens) mais surtout sa famille dont elle ignore l’arrivée impromptue et improbable, sa petite soeur Electre, son frère Oreste (l’assassin d’une mère dont Iphigénie ignore la mort, comme elle ignore que celle-ci a tué son père) et le fiancé d’Electre et compagnon de coeur d’Oreste, Pylade (un Pylade de luxe et si bien-chantant, Reinoud Van Mechelen)

Olivia Doray (Electre) © Cyprien Tollet/ Théâtre des Champs-Elysées

C’est en fait surtout ceux-ci dont on suit l’histoire, et beaucoup moins Iphigénie. Nos Grecs ont débarqué dans cette Tauride du roi Thoas et les garçons, selon des lois qu’on ne nous explique pas, ont été condamnés à mort, à moins qu’Electre… ne se sacrifie en épousant Thoas qui est fou amoureux d’elle. L’opéra est un peu longuet dans sa première partie, d’autant que la musique, très Louis XIV, est belle mais solennelle, et manque évidemment d’émotion dans les interminables allers-retours amoureux où Electre, songeant à son frère et son fiancé en danger de mort, est prête à céder à Thoas puis ne peut s’y résoudre, Thoas oscillant entre la fureur de ce refus et l’amour brûlant qu’il ressent pour elle; jusqu’au moment où, enfin, Electre ayant cédé, ce sont Pylade et surtout Oreste qui préfèrent la mort au déshonneur de voir Electre livrer à ce roi barbare et impie -car il croit en des idoles et non au grand dieu Jupiter (comprenez Louis XIV. Non, pas Macron)

C’est compter sans Iphigénie, devenue en cette Tauride prêtresse de Diane (qui l’avait sauvé du couteau fatal de son père) et qui sera l’instrument de la délivrance des Grecs, Thoas étant tué on ne sait trop comment; et le dernier mot revenant à Diane (Madame de Maintenon?) dont Floriane Hasler, belle mezzo, incarne la juste froideur. Cette seconde partie est plus vivante, les coups de théâtre sont plus resserrés même si, ne nous leurrons pas, nous ne sommes pas dans “Game of thrones”.

Thomas Dolié (Oreste) et Hervé Niquet © Cyprien Tollet/ Théâtre des Champs-Elysées

C’est aussi, et c’est une des énigmes de cette oeuvre, qu’elle n’est pas seulement de Desmarest mais que Campra en écrivit… plusieurs airs dans chaque acte, tout le début, la fin, et qu’on s’amuse (dans la tempête déchaînée par Neptune ou la déploration émouvante de Thoas blessé) à essayer de reconnaître la musique de l’Aixois sans être sûr d’y parvenir. Car cette “Iphigénie” a aussi une étonnante histoire. Elle fut créée avec tous les honneurs en 1704 alors que Desmaret était… en fuite depuis 5 ans. Veuf vertueux, il eut, trentenaire auréolé de la confiance royale, le malheur de s’amouracher d’une jeunette (19 ans) que le père lui refusa. Les amants s’enfuirent, eurent un enfant, passèrent sous la protection du roi d’Espagne (petit-fils de Louis XIV) puis du duc de Lorraine (Etat souverain alors) dont Desmarest devint le compositeur officiel, étant même à l’origine de l’opéra de Nancy. La bienveillance du Régent, dès 1715, put le conduire à revenir en France mais, oublié, il retourna en Lorraine où il mourut octogénaire.

Et donc Campra s’empara, pour l’achever, de l’opéra qui eut un vif succès. Elle en eut un aussi l’autre soir au Théâtre des Champs-Elysées, grâce à l’inépuisable énergie d’Hervé Niquet et de ses musiciens (on passera sur quelques problèmes de cohésion et de diapason) et à un groupe de solistes de belle qualité. Mechelen, Hasler qu’on voudra réentendre, une Véronique Gens qui compense la légère perte du volume et de la projection par une incarnation toujours aussi noble et d’une exacte émotion. Il est vrai qu’elle connait son personnage puisqu’elle incarnait déjà cette Iphigénie en version Gluck à l’Opéra-Garnier il y a quelques années (le malheureux Thoas qui, cette fois, s’intéressait à elle, connaissant le même sort funeste)

L’Oreste du jeune baryton Thomas Dolié est une belle découverte: voix pleine et vraie incarnation de ce personnage torturé, sans concession, toujours hanté par son matricide. L’Electre d’Olivia Doray, timbre et ligne de chant sans reproche, est un peu trop placide et bonne fille quand on connait le parcours compliqué de cette héroïne poursuivie elle aussi par la malédiction des Atrides. David Witczak en Thoas a plus d’aigus que de graves, ce qui est surprenant quand on est baryton, comme Tomislav Lavoie en Océan.

Après cette représentation en version de concert Niquet et sa troupe entraient en studio pour enregistrer cette “Iphigénie en Tauride” qui permettra dans quelques mois aux amateurs de baroque de goûter pleinement à un style assez tardif dans le règne et déjà différent de Lully. Quant à moi je pensais forcément aux extraits d’opéra entendus dans l’exposition sur la Régence au musée Carnavalet à Paris (jusqu’au 25 février): extraits de “Penthée” enregistrés justement par Hervé Niquet. Auteur: Philippe d’Orléans, le Régent. Rare qu’un si haut personnage compose des opéras. Mais, comme par hasard il avait à son service et Desmarest et Campra. Et Niquet, bien sûr, rêve de monter ce “Penthée” du neveu de Louis XIV. Avec sûrement un rôle pour “notre” Véronique Gens.



“Iphigénie en Tauride”, opéra d’Henry Desmarest et André Campra en version de concert. Solistes, choeur et orchestre du Concert Spirituel, direction Hervé Niquet. Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 9 janvier.













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