Une exquise “Fairy Queen” de Purcell par les Arts Florissants… avec danse

“The fairy queen”: enchantée, comme son titre l’indique. Une partition ravissante, des danseurs si intelligemment chorégraphiés par Mourad Merzouki. Bref une soirée accueillie par un triomphe…



© Julien Gazeau, dans les jardins de William Christie l’été dernier

Et encore les inépuisables Arts Florissants, sous la direction de l’inépuisable Paul Agnew, à peine revenus de leurs concerts de Noël. C’étaient ces jours-ci à la Cité de la Musique à Paris (aujourd’hui Philharmonie 2) et un public ravi a accueilli cette si intelligente confrontation de la danse (plutôt) contemporaine et du chant baroque, dont on s’est rendu compte qu’ils avaient beaucoup plus de choses à se dire qu’on le pensait.

Mais reprenons: “The fairy queen” qu’on va traduire à peu près par “La reine des fées” Il s’agit de Titania, le personnage shakespearien du “Songe d’une nuit d’été”, même si Titania n’est jamais nommée, même si, d’ailleurs, elle n’est jamais là. Partition de Purcell parmi les dernières, 1692, il mourra trois ans plus tard, à 36 ans. Créée le 2 mai, très précisément, de ladite année, dans, nous dit le petit livret du concert (dû à Chantal Cazaux), “une production fastueuse, avec un décor différent pour chaque masque, des danses (le même chorégraphe que pour “Didon et Enée” et “Le roi Arthur”), 16 rôles parlés, presque autant de chanteurs, dont 5 basses et 3 contre-ténors. Grand succès”

Chanteurs et danseurs autour du Poète ivre de Hugo Herman-Wilson © Julien Gazeau

Mais… un décor pour chaque masque, avez-vous dit? Qu’est-ce donc? Ah! quelque chose de typiquement anglais, il fallait bien ça. En fait “The fairy queen” est un jeu de cache-cache: une musique de scène mais à la manière anglaise, donc sans scène. Vous devenez bien obscur, cher narrateur. Mais nous-mêmes avons d’abord été perplexes en gagnant nos sièges: “The fairy queen”, donc, c’est “Le songe d’une nuit d’été” de Shakespeare. Chic, avons-nous pensé car cette pièce est quasi notre préférée du grand dramaturge, avec son mélange si génial de burlesque, de féérie, de loufoquerie et de mélancolie tendre -de la cruauté dans le tendre, aussi. Et se déroulant sur trois niveaux, avec trois groupes de personnages qui se croisent et se décroisent avant de se retrouver, soit dans le monde des vivants, soit dans le monde des fées. Oui mais… aucun des personnages de la pièce n’apparait dans “The fairy queen”, où l’on entendra s’exprimer le Sommeil, la Nuit, deux Fées, chacune des Saisons, une Chinoise, et tout de même un couple de paysans, Coridon et Mopsa, venus de nulle part, en tout cas pas de Shakespeare.

On appelle cela là-bas “semi-opéra” ou “mask”. Et voilà pourquoi des décors différents. Car, comment dire, il s’agissait de construire un contrepoint musical et opératique à la pièce, où venaient s’intercaler entre les cinq actes parlés les cinq actes chantés de Purcell, telle une immense respiration musicale dans le même climat de féérie, tantôt tendre, tantôt joyeuse, tantôt proche du rêve tantôt regardant du côté de la danse paysanne, avec l’ivresse du poète en supplément… La pièce de Shakespeare plus l’oeuvre de Purcell, c’est 5 heures de spectacle… Cela se tente! Mais le “vrai” opéra tiré de la pièce de Shakespeare, il viendra 350 ans plus tard grâce à un autre Anglais, Benjamin Britten, et ce sera aussi merveilleux, comme on l’a vu à Lille dans la mise en scène de Laurent Pelly en 2022.

Flûtistes et danseur © Julien Gazeau



Du coup cette “Fairy Queen” n’a pas réellement d’intrigue mais des évocations, tour à tour poétiques, martiales, burlesques, tristes ou joyeuses, série de beaux airs liés par des moments orchestraux: un poète ivre chante la tristesse de son sort, deux fées le confessent, le Sommeil demande le silence, la déesse Junon célèbre les amoureux (à sa manière martiale, elle n’est pas Vénus) Et puis voici le défilé des saisons: un Printemps guilleret (“Grateful spring”), un Eté joyeux, un Automne mélancolique mais qui vante les belles couleurs de sa campagne. Un Hiver qui revient deux fois: “When a cruel long winter” d’abord -mais c’est Phoebus, le Soleil, qui le chante, puisqu’il y est à son déclin. Puis l’Hiver lui-même arrive à pas feutrés, “Now winter comes slowly” Au milieu de tout ça l’arrivée de Chinois est assez étrange. Mais justement: c’est dans l’esprit de Shakespeare où, au milieu du tragique, survient l’inattendu le plus débridé.

Les jeunes chanteurs sont ceux du Jardin des Voix -l’école de formation des Arts Florissants- et ils sont déjà fort bien formés, merci. Félicitons donc Paulina Francisco, Georgia Burashko, Juliette Mey et Rebecca Leggett. La première jolie soprano, la dernière vraie mezzo (une Junon impérieuse), Burashko et Mey passant d’un registre à l’autre, l’une plus tranchante et la Française Juliette Mey timbre ravissant dans l’air de la Nuit, “See, even Night herself is here”

Juliette Mey © Julien Gazeau


Le Poète ivre de Hugo Herman-Wilson est touchant, le Belge Benjamin Schilperoot a de la présence en Hiver ou en Sommeil, le timbre du Portugais Rodrigo Carreto manque encore un peu de projection en Phoebus ou en Automne; et le duo de Coridon et de Mopsa, elle refusant à son fiancé (Hugo Herman-Wilson) un baiser (“No kiss at all”)… s’il n’est pas réel, met la salle en joie d’autant que le ténor letton Ilja Aksionov y est d’un charmant burlesque et très bien aussi, par exemple en Eté.

Coridon et Mopsa font évidemment référence aux acteurs jouant Pyrame et Thisbé dans la pièce de Shakespeare. Mais le bonheur de cette “Fairy Queen” ne serait pas complet s’il n’y avait cette partie dansée formidable que l’on doit à Mourad Merzouki pour la chorégraphie et à six de ses danseurs. Ceux-ci, certes venus du hip-hop, ont aussi le talent d’occuper la scène au milieu des chanteurs, étant eux-mêmes un contrepoint (ou l’inverse) à ceux-là, avec une énergie, une finesse et une joie sur scène qui font aussi notre propre plaisir.

Chanteurs et danseurs © Julien Gazeau

Merzouki inventant une chorégraphie qui fait référence à l’énergie de la danse de ce temps-là, non pas en signant une partition des temps baroques mais mieux encore: en trouvant dans les racines même de son style des correspondances avec l’époque de Purcell où, sans doute à la cour d’Angleterre comme à la cour de France, les hommes levaient la jambe avec une énergie de guerrier. Certes c’était un siècle plus tôt mais on se souvient de cette phrase de l’ambassadeur d’Angleterre arrivant à Paris sous Henri III: “A la cour il y a des bals tout le temps. Dans le palais tout le monde danse”. Et c’était une danse d’abord d’hommes (sur les 6, il n’y a qu’une femme, Alary-Youra Ravin, qui partage avec ses camarades les mêmes figures), qui perdurera d’Henri III à Louis XIV, on le sait, art encore viril où c’est presque prolonger la chasse ou le duel que frapper des pieds, virevolter sur les mains, traverser la scène à grands sauts, lancer des “battles” avant l’heure, au point qu’on accepte volontiers (comme on l’avait accepté avec “Les Indes galantes” à l’Opéra-Bastille il y a quelques années) ce choc de deux époques, en se disant que le Roi-Soleil aurait sûrement beaucoup appris de la danse de rue (devenue depuis bien plus officielle et construite) de nos banlieues.

Dernier point: l’art avec lequel Agnew et Merzouki ont réussi, en certains moments précis, à faire chanter les danseurs ou danser les chanteurs comme dans le final magnifique, “They shall be as happy as thei’re fair” (Ils seront aussi heureux qu’ils sont féériques), où le bonheur de l’hyménée voit 5 filles et 9 garçons occuper la scène puis saluer, presque étonnés de leur triomphe; et l’on se souviendra aussi, à la tête d’impeccables musiciens (évidemment! Mention cependant aux deux flûtes si émouvantes de Sébastien Marq et Nathalie Petibon), d’un Paul Agnew dos à son orchestre, rêveur, écoutant par exemple une Juliette Mey en laissant l’accompagnement se faire sans lui, pour le simple bonheur, comme nous, de se dire, “la relève est là, et quelle relève!”

“The fairy queen” d’Henry Purcell. Ecole du Jardin des voix, orchestre des Arts Florissants, direction Paul Agnew, avec une chorégraphie de Mourad Merzouki et les danseurs de sa compagnie. Cité de la Musique (Philharmonie 2) les 4 et 6 janvier.

Cette “Fairy queen” sera reprise en Espagne (Valence puis Madrid) les 13 et 14 janvier, à Massy les 27 et 28 janvier. Puis, plus tard, à Versailles le 27 juin, à Milan en Italie le 30 juin.



















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