Un focus sur l’orchestre symphonique de Mulhouse autour du “Concerto pour violoncelle” de Levinas

De la vie d’un orchestre de province: j’ai profité d’une des premières du “Concerto pour violoncelle” de Michael Levinas pour aller à Mulhouse prendre le pouls de cette formation de 56 musiciens.

Henri Demarquette et la cheffe Anu Tali © Orchestre symphonique de Mulhouse/ Michel Kurst


Arrivée à Mulhouse. Il fait gris, la gare est humide, tout en longueur, avec cette lourdeur très allemande de la fin du XIXe siècle -un grès sombre et sinistre-, qui ouvre sur une immense esplanade déserte que traverse un canal aussi emporté que discret. Où est la ville?

Plus loin, dans ce froid piquant d’automne qui me rappelle que je suis en Alsace, où de solides maisons se serrent dans un dédale tournant de ruelles convergeant vers la place centrale, avec son étonnant (ancien) hôtel de Ville rose cerise, cette “Place de la Réunion” où les chalets du marché de Noël sont encore silencieux. La façade est peinte, le bâtiment date du XVIe siècle, il y a sur le mur latéral un masque cousin des masques du théâtre nô, grimaçant: on le suspendait au cou des médisants qui, en punition, faisaient ensuite le tour de la ville juchés sur un âne. Tradition à reprendre peut-être, à l’heure des fake news et des insultes gratuites… Bienvenue dans une ville de rigueur et de devoir!

Mulhouse. Un peu plus de 100.000 habitants. Cité discrète, industrielle, sans a priori le charme et la beauté de sa voisine Strasbourg qui tire à elle toute la gloire de l’Alsace, enfin pas tout à fait, il y a aussi les vignobles, les charmants villages aux nids à cigognes, la préfecture magnifique de ce département 68 qu’est Colmar. Alors que reste-t-il à Mulhouse? D’être une ville de travail. Et d’être une ville de musique…

L’orchestre en attente © Orchestre symphonique de Mulhouse/ Michel Kurst

Combien de villes françaises d’une population supérieure (même si l’on sait que nous ne sommes pas le pays le plus musicien du monde) n’ont pas même une formation comme celle de Mulhouse? Rien à Nîmes, à Caen, à Limoges. Ni au Havre ni à Reims ni à Brest. Qui ne sont que sous-préfectures, me direz-vous. Oui, comme Mulhouse. Et qui tangentent, elles, les 200.000 habitants. Et, bien sûr, ce recensement hâtif ne s’attardera pas sur la qualité des orchestres des villes qui “en ont”…

On est donc venu juger. Intrigué aussi par le programme qui voit une création (enfin, presque) d’un concerto de Michael Levinas dans la cité alsacienne par un de nos meilleurs artistes, le violoncelliste Henri Demarquette. Et l’on arrive en plein chambardement administratif. Nous dit le directeur général de l’orchestre, Guillaume Hébert, ancien du Capitole de Toulouse et de l’Opéra de Paris. C’est que l’orchestre va obtenir un statut autonome d’Etablissement Public. Quésaco? Bienvenue dans les arcanes de l’administration française. C’est que l’orchestre, qui jusque-là était un “service” de la municipalité au même titre, par exemple, que les espaces verts, devient autonome, se gèrera lui-même (le premier pas avait été l’obtention du “Label d’orchestre national en région” par le ministère de la Culture en 2019) même si, à l’instar des C.H.U., la présidence du Conseil d’administration de la nouvelle entité sera assurée par… l’adjointe à la culture de la ville.

De l’opéra en plus des concerts

Des bases en tout cas, dit Guillaume Hébert, qui permettront (lui n’est là que depuis peu de temps), au-delà de la couverture régionale partagée avec l’orchestre philharmonique de Strasbourg, de se faire connaître, par des tournées, des enregistrements, avant peut-être d’augmenter les effectifs (mais, ajoute, lucide, le directeur général, “toujours ces contraintes budgétaires. Soyons heureux déjà d’avoir le soutien plein des élus”) C’est aussi qu’en-dehors des concerts symphoniques (un programme par mois, plus des prestations en musique de chambre de divers musiciens de l’orchestre) il y a les représentations de l’Opéra national du Rhin: basé certes à Strasbourg, qui propose six créations, mais Mulhouse en propose deux ou trois, cette année “Lakmé” (en novembre) et “Norma” (en juin prochain, avec Karine Deshayes), et un spectacle de ballet en janvier, joués dans les deux villes, et à Mulhouse dans cette salle de “La Filature”, bâtiment moderne inondé de lumière avec sa salle d’environ 1000 places (bien remplie le soir de notre venue) où la musique, cependant, partage ses prestations avec le théâtre.

Maisons place de la Réunion © Office de tourisme de Mulhouse

“La Filature”, lieu culturel mulhousien pour 108.000 habitants mais 250.000 avec l’agglomération, et puis la proche Allemagne et puis, en Suisse, la très riche Bâle à 30 kms. Qui vient, parmi les abonnés? 33% de Mulhousiens, 43% des alentours, 24% d’ailleurs, Alsace, Suisse et Allemagne. “C’est, dit Guillaume Hébert, une particularité de la ville, que les quartiers populaires (ouvriers à l’époque de la création de l’orchestre en 1867) étaient au centre et que la grande bourgeoisie vivait en périphérie, dans de belles maisons et à l’air pur. Et, bien sûr, l’orchestre qui était municipal fut créé à l’initiative de riches industriels” Peut-être aussi que Mulhouse, devenue ville allemande en 1871, bénéficia de la passion pour la musique de nos voisins, qu’elle cultivait déjà probablement.

(On pense alors au Havre, autre cité industrielle où ce fut à la même époque d’autres riches bourgeois qui, eux, achetèrent des flots de peintures enrichissant aujourd’hui le musée de la ville. Chacun ses passions si, au final, c’est l’art qui l’emporte)

Un nouveau chef venu de Vienne

Aujourd’hui donc neuf séries symphoniques, des master classes, des interventions dans les conservatoires, un nouveau chef -directeur musical, c’est le terme-, Christoph Koncz, nommé en septembre dernier, venu du prestigieux Philharmonique de Vienne où il est chef de pupitre des seconds violons. S’inscrire dans la tradition musicale germanique (c’est-à-dire d’excellence) avec, évidemment, ce souhait toujours, dit Guillaume Hébert, de renforcer les effectifs (“horizon lointain mais horizon à (re)garder”), en particulier ce pupitre de 14 violons, base de tout orchestre.

On l’a donc entendu, cet orchestre, et d’abord dans ce “Concerto pour violoncelle” de Michael Levinas (le compositeur, près de moi, partition sur les genoux, écoutant les moindres inflexions de son oeuvre), un concerto écrit pour Henri Demarquette et le fruit, me disait celui-ci, d’une étroite collaboration, Levinas cherchant constamment des traits, des sonorités nouvelles et “il m’a conduit, ajoute Demarquette, à découvrir d’autres manières d’utiliser mon instrument, à le faire chanter de manière inédite, à tenter aussi d’autres doigtés”. Musique minérale, ample de conception, où l’orchestre est un écrin mesuré à une partie de violoncelle écrasante, sifflements des aigus sur une déploration des cordes, montée et descente acrobatique de la gamme, dialogue de soupirs et de feulements entre le soliste et ses homologues de l’orchestre, et soudain trompettes et l’ensemble des cuivres ouvrant sur d’autres couleurs.

Henri Demarquette, Anu Tali © Orchestre symphonique de Mulhouse/ Michel Kurst

Un concerto fruit d’une initiative originale, le “Consortium créatif”: “Nous sommes cinq établissements, dit Guillaume Hébert, cinq orchestres, Rennes, Avignon, Cannes, Mulhouse et Amiens, qui commandons une oeuvre à un compositeur aux fins de la jouer -de la créer- dans nos différents lieux avant, ensuite, qu’elle vole de ses propres ailes auprès de qui souhaite la donner à son tour. Le “Concerto” de Michael Levinas attend encore son “baptème” à Amiens et il sera encore entendu ici demain soir puisque nous doublons tous nos concerts”

Ce concerto de Michael Levinas était suivi d’un des plus fameux du répertoire, le “Concerto pour violoncelle” de Schumann, joué avec un lyrisme remarquable, une mélancolie indicible (c’est une oeuvre d’un Schumann qui va bientôt basculer dans la folie) avant un mouvement final aux parfums forestiers enlevé avec une fougue splendide par Demarquette et l’orchestre que la cheffe estonienne Anu Tali conduit à la victoire.

La “Réformation” trop rigide

On est un peu plus réservé sur la symphonie qui conclut le concert. C’est la “Symphonie n° 5” de Mendelssohn, dite “Réformation” puisque Mendelssohn la composa pour le tricentenaire de la “Confession d’Augsbourg” où, devant l’empereur Charles-Quint qui le refusa, fut codifié le texte instituant les préceptes luthériens à la demande de princes allemands déjà convertis comme l’électeur de Saxe. Après un fort beau choral la direction de Tali, trop rigide, fait de l’oeuvre quelque chose de bien sévère sans, non le sourire mais la souplesse, la liberté, si propres à Mendelssohn. Et l’on se disait qu’effectivement -objectif à maintenir, même s’il prend du temps- quelques violons supplémentaires étofferaient avec profit une formation qui, cependant, n’aura pas démérité.

(On pensait en l’écoutant à ce temple Saint-Etienne en plein centre-ville qui rappelle justement la présence dans la région de la religion réformée)

On a évidemment pour finir jeté un oeil à une programmation qui allie l’exigence (la “4e symphonie” de Bruckner en mai), la découverte (le rare “Concerto pour piano” de Massenet) et des solistes prestigieux (Demarquette, Kadouch et Bismuth dans le “Concerto pour 2 pianos” de Mozart, Kantorow dans le “2e concerto” de Chopin): dans cette ville de vieille industrie, avec tous les problèmes que cela comporte, s’est ainsi ancrée une tradition musicale bien établie qui fait chaud au coeur.



Prochains concerts de l’orchestre: les 1er, 2 et 7 janvier pour le Nouvel An avec la soprano Jodie Devos (Mulhouse, Colmar, Riedisheim, dans cet ordre). Puis les 19 et 20 janvier pour un programme Rossini-Stravinsky-Moussorgsky au temple Saint-Etienne, justement



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