Le violon de Raphaëlle Moreau rend hommage aux femmes compositrices

Un beau Cd qui a été aussi un concert à la salle Gaveau réunit Raphaëlle Moreau et Célia Onesto Bensaid dans des sonates pour violon et piano de compositrices oubliées. Une nécessaire (re) découverte…

© Jean Fleuriot

Henriette Bosmans, Dora Pejacevic, Marguerite Canal: en avez-vous entendu parler? Sans doute non. Peut-être davantage de la 4e du lot, Grazina Bacewicz (1909-1069), assez jouée dans les années 1950 et 60 dans un registre plus contemporain. Le Cd “Duelles” de Raphaëlle Moreau et Célia Onesto Bensaid les met donc toutes quatre à l’honneur.

Ainsi, diront certains esprits chagrins, voici donc qu’on essaie encore de nous démontrer qu’il y a eu des génies oubliées du sexe qu’on a longtemps prétendu “faible”. On a pu le penser. Nous-mêmes, on l’avoue, parfois… Et à vrai dire on est bien sûr que Clara ne vaut pas Robert ni que Fanny ne vaut Félix. Mais qui, parmi les hommes, peut même se mesurer à Jean-Sébastien, Ludwig ou Wolfgang Amadeus? Et vaste sujet que le génie, le talent, la grâce, le charme, l’élégance, le souffle! Nous avons tous en littérature un “chef-d’oeuvre qui nous tombe des mains” Et je fais un clin d’oeil ici à certains amis excellents musiciens mais l’un qui honnit Berlioz, l’autre pour qui “Brahms, c’est pas vraiment ça…”

On félicitera donc chaleureusement Raphaëlle Moreau et Célia Onesto Bensaid d’avoir fait ce travail de défricheuses, compliqué, comme le dit Moreau, car “la difficulté d’accès aux partitions est un frein énorme, même pour les meilleures volontés” Elles sont parties pour cela de la plus connue peut-être, de nous et surtout d’elles en tout cas, cette Marguerite Canal qui fut Prix de Rome en 1920, félicitée par Saint-Saëns, et la deuxième après Lily Boulanger sept ans plus tôt.

Célia Onesto Bensaid et Rapahaëlle Moreau, violon de Carlo Tononi du début du XVIIIe siècle © Jean Fleuriot


Et ainsi surgit le premier morceau de ce disque, la “Sonate pour violon et piano” composée justement par Canal (qui n’en écrira pas d’autre) lors de son séjour à Rome. S’y ajouteront deux autres sonates, de contemporaines, la Néerlandaise Bosmans, la Croato-hongroise (née sous l’empire des Habsbourg et morte allemande) Pejacevic. Résumé d’Europe et réunies non pas seulement parce que femmes mais par une proximité d’époque, les trois sonates composées entre 1917 et 1922.

La “Sonate” de Marguerite Canal étant un peu mieux connue -à peine!- Outre que les deux musiciennes la jouent depuis quelques années, on se souvient d’en avoir entendu un mouvement (en bis!) par Renaud Capuçon et Nicholas Angelich. Structure classique en 4 mouvements, et dès le début, on est désolé d’y faire allusion, si l’on ignore que c’est de Canal, on pense à une oeuvre retrouvée de Ravel. Mais l’écriture, et ce n’est justement pas réduire les mérites de la compositrice, est digne de Ravel et non, par exemple, … d’Ambroise Thomas (qui n’était pas un si mauvais compositeur) C’est rêveur, nostalgique, avec parfois des harmonies étranges, très années 20, chantant dans les aigus (le violon) avec un bel accompagnement mesuré et un dernier mouvement qui évolue vers une lumière d’été -on note l’équilibre du duo violon-piano, alors qu’au concert Oneto Bensaid ne réfrénait pas toujours sa tendance naturelle à jouer trop fort. Mais ce n’était pas trop gênant, ne serait-ce que pour prouver que l’écriture des femmes compositrices n’est ni “sucrée” ni “mignonne” ni d’ailleurs “mâle” mais aussi affirmée que musicale.

J’ai cité Ravel. En tout cas très “musique française” et différente encore d’un Chausson, d’un Saint-Saëns, d’un Debussy. On attend désormais d’autres découvertes de cette femme qui, née à Toulouse, mourut fort âgée dans ses terres natales en 1978 sans, de mémoire, que personne du monde musical n’en soit véritablement informé. On regrettera au passage que le livret du Cd, très intéressant sur les recherches de Moreau et Oneto Bensaid, ne nous disent rien de la carrière véritable des trois principales compositrices. Heureusement Wikipédia, précieusement là encore, contribue à nous éclairer sur chacune.

A Gaveau, le petit salon © Jean Fleuriot

Mais malgré les beautés de la sonate de Canal on avoue une véritable tendresse pour celle de Bosmans (1918) qui, Wikipédia toujours, nous la présente d’abord comme pianiste. Admirable musicienne en tout cas et filles de musiciens, ayant joué souvent au Concertgebouw, mais là aussi, qu’attend-on pour connaître le corpus important qu’elle écrivit par exemple pour le violoncelle (2 concertos, une oeuvre concertante, une sonate et diverses pièces)? Au moins cette “Sonate”-ci a un charme considérable, d’ailleurs très français aussi (mais plutôt côté fauréen) avec ce thème très beau qui revient en leitmotiv dans chacun des 4 mouvements -influence allemande dans ces Pays-Bas qui n’ont guère fait connaître de grandes plumes musicales depuis Sweelinck dans les années 1600, si leur place comme nation de musique est évidente grâce à des interprètes prestigieux (Leonhardt, Haitink, Koopman ou Aafje Heynis). Il y a dans la “Sonate” d’Henriette Bosmans un mélange de grâce nostalgique et de lyrisme teinté de nuages gris, toujours contenu, pudique, élégant, avec des morceaux de joie épars que recouvre la brume.

On trouve moins aboutie la “Sonate slave” (1917) de Dora Pejacevic, aristocrate rebelle, morte à 38 ans, imprégnée de culture MittelEuropa (Mann, Kraus, Rilke) et qui est encore jouée régulièrement dans sa Croatie mais aussi dans les pays d’Europe centrale. Cette “sonate slave” , selon Oneto Bensaid, “évoque presque la musique russe”. On irait plutôt regarder, quant à nous, du côté d’Enesco ou de Bartok (la “3e sonate” de l’un, les “Rhapsodies” de l’autre) Mais, comment dire?, d’une écriture intéressante mais pas toujours aboutie, hésitant entre la tradition et les modernités qui pointent (l’école de Vienne) sans choisir, de sorte que les développements s’interrompent, faisant ressembler un peu cette “Sonate” à une esquisse que Pejacevic aurait peut-être reprise plus tardivement.

Six musiciennes dans leur plénitude

Les deux pièces de Bacewicz (1909-1969), très brèves (moins de 2 minutes chacune) sont plus annexes, comme des respirations, même d’époque plus “moderne”. On aimerait là aussi entendre un des 7 “concertos pour violon” de la Polonaise. Car, justement, c’est aussi une des vraies qualités de ce Cd de n’avoir pas effectué, comme cela arrive si souvent (sur d’autres thèmes), une compilation de piécettes pour nous prouver qu’il y a tellement de femmes compositrices oubliées mais de nous permettre, grâce à des oeuvres d’ampleur (20 minutes), de nous laisser juger du souffle de leur inspiration même si elles ne sont que trois, mais bien choisies. Et, autre cerise sur le gâteau mais pas la moindre, de constater que Raphaëlle Moreau, au côté d’une Célia Oneto Bensaid, parfaite partenaire, déploie désormais ses ailes, non plus dans l’ombre de son grand frère Edgar Moreau ou de celle de Renaud Capuçon, mais vraiment comme déjà un grand nom du violon français -on l’a surtout noté pendant le concert, à la fermeté du phrasé, à l’égalité du son, à sa beauté, en particulier dans un registre grave automnal et flamboyant.

Bref un sextuor de dames qui font honneur à la musique.



”Duelles”, Raphaëlle Moreau (violon), Célia Onesta Bensaid (piano): sonates et oeuvres pour violon et piano de Bosmans, Pejacevic, Bacewicz et Canal. 1 Cd Mirare et en concert salle Gaveau, Paris, le 8 décembre.

















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