A l’Opéra-Comique le “Samson” fantôme de Rameau et Voltaire

C’est un spectacle créé au dernier festival d’Aix-en-Provence qui vient ces jours-ci à l’Opéra-Comique, le “Samson” de Rameau, livret de Voltaire. Ou plus exactement le fantôme du “Samson” de Rameau, opéra perdu, certains éléments récupérés par le compositeur et, miracle, le jeune chef Raphaël Pichon à l’origine d’un projet qui ressuscite un “Samson” possible, et fort applaudi.

Samson (Jared Ott) torturé par les Philistins. Dalila (Ana MAria Labin) recroquevillée à gauche © Stefan Brion




Histoire folle, qui commence il y a presque 3 siècles. Rameau a attendu la cinquantaine pour livrer son premier opéra, “Hippolyte et Aricie”, qui semble alors si moderne qu’on crie au génie ou à l’insupportable. C’est le cas de Voltaire qui trouve cette musique “exacte et ennuyeuse”. Et puis se ravise, au point de peu à peu considérer Rameau comme celui qui, peut-être, sauvera l’opéra, et de lui proposer pour ce faire de lui écrire un livret. Rameau accepte bien sûr, tout Rameau qu’il soit, comment refuser Voltaire? On rêverait aujourd’hui de pareilles affiches. Pas à l’époque, la cabale s’organise contre un Rameau trop brillant, trop neuf, mais surtout contre Voltaire. Et la censure qui s’en mêle.

On est alors en 1734, le poids de l’église est suffocant et Voltaire déjà sulfureux. En s’attaquant au sujet de Samson il s’attaque à un personnage étrange (oubliez l’oeuvre de Saint-Saëns!) qui a eu plusieurs vies, la liaison fameuse avec Dalila étant la dernière, avec cette force incroyable mais qu’il ne met pas forcément au service des Hébreux contre les Philistins. Au contraire, il connaît de torrides liaisons avec des femmes philistines et le souci de la liberté du peuple hébreu, son peuple, ne l’obsède guère. Il est décrit (les textes qui passent en surtitrage, extraits du “Livre des Juges”, sont éclairants) comme un personnage intraitable, sans nuance, une sorte de fou furieux autant dans la colère, dans la brutalité que dans les plus brûlantes passions. Sans retenue, oui, et qui ne deviendra un semi-héros que par son acte final, mais plutôt incontrôlable par ailleurs.

Samson (Jared Ott) et sa mère (Andrea Ferréol) © Stefan Brion

Il sera reproché à Voltaire de ne pas avoir lissé le personnage, d’avoir montré toutes ses contradictions (c’est tout de même un héros biblique), d’avoir donné trop d’importance à Dalila, l’hétaïre, sans comprendre que l’histoire de Samson, même à l’époque, n’existe vraiment que par cette liaison-là. Disons-le (et Saint-Saëns l’a compris): sans elle l’histoire de Samson est bien moins intéressante et si l’on suit avec intérêt la première partie du “Samson” de l’Opéra-Comique, c’est parce qu’on apprend sur Samson, à partir des textes, des détails qu’on ignorait, à moins, évidemment, de connaître son Ancien Testament dans ses moindres recoins.

Le premier “Samson” fut rejeté. La création des “Indes galantes” (triomphe!) suivit et alors Voltaire se remit à l’ouvrage. En édulcorant le livret à qui on reprochait aussi d’avoir inséré trop de profane (cf Dalila) dans le sacré. Quelques rares privilégiés entendirent la musique de Rameau su ces nouvelles paroles (murmurant en parodiant Duras: “Sublime, forcément sublime!) et la censure se manifesta de nouveau. Les deux génies jetèrent l’éponge. On ne peut rien contre la bêtise.

Samson (Jared Ott) , Aschisch (Mirco Palazzi), Elon Laurence Kilsby) accroupi à droite © Stefan Brion

Entre alors dans l’affaire, mais trois siècles plus tard, un passionné de Rameau, le chef Raphaël Pichon. Qui, avec son ensemble Pygmalion, a monté tous les Rameau ou quasi tous, et rêve aujourd’hui de l’opéra perdu qu’est “Samson”. Il trouve en Claus Guth un soutien, un passionné aussi de Rameau. Pichon s’attelle à ce travail qui, pour lui, “n’est pas une démarche de type muséal ou archéologique, … nous n’avons pas assez de matériau ni de certitudes pour cela” Autre problème, le livret. Heureusement, Voltaire, à la fin de sa v ie, faisant une recension de ses oeuvres principales, y inclut le livret (édulcoré) de “Samson”. Pour le reste, dit Pichon, “j’ai donc passé un peu plus d’un an à lire et à relire tout Rameau - en priorité les oeuvres dont on sait qu’elles ont bénéficié de la partition de “Samson” et peu à peu tout le reste”. Eddy Garaudel étant chargé de réécrire une partie du texte de Voltaire!

Dalila repentante (Ana Maria Labin) © Stefan Brion

Ainsi ce “Samson” qui tient admirablement la route, du triple point de vue musical, opératique mais aussi… historique (si l’on peut considérer les récits bibliques comme historiques mais ceci est un autre débat, fort complexe), se voit attribuer des extraits de “Zoroastre”, “Dardanus”, “Les Indes galantes”, “Le temple de la gloire”, “Les surprises de l’amour”, bien d’autres, et en ouverture le fameux choeur “Tribus captives / Nos voix plaintives” de “Castor et Pollux”. Et pour ceux (dont je fais partie) qui ne connaîtraient pas intimement la musique de Rameau, on se laisse porter, en suivant l’histoire de Samson (la vraie, la biblique!), par des morceaux superbes, choeurs tragiques, puissance orchestrale, danses admirables dans la grande tradition française du ballet baroque ou classique, airs triomphants, d’une beauté indicible. Et portés par le chef Raphaël Pichon qui insuffle à cette musique qu’il adore un dynamisme, un charme, une densité sonore, absolument remarquables.

Distribution un peu différente de celle d’Aix, autour d’un Jared Ott qui a vraiment le physique du rôle: le baryton américain, carrure puissante et longs cheveux blonds, impose son timbre puissant sans faillir, un peu monolithique mais c’est le rôle qui le veut. En Timna, l’épouse (une Philistine), Julie Roset tient le personnage, sans plus. Mirco Palazzi, le méchant roi des Philistins Achisch, a la voix qui bouge beaucoup mais il a aussi le physique et la noirceur du rôle. Elon, l’ami devenu traître, est incarné par Laurence Kilsby qu’on avait déjà remarqué (en très bien) dans le “Castor et Pollux” de Garnier '(voir chronique du 23 janvier) Joli Ange de Camille Chopin. Quant à Ana Maria Labin sa véhémence dans le début de son intervention rend son chant haché, parfois criard. Mais la voix s’installe vite, charnue, exacte; et elle devient très émouvante quand elle comprend qu’elle a été manipulée par Aschisch, au point de marcher vers le suicide.

Samson (Jared Ott) et Timna (Julie Roset) © Stefan Brion

C’est que Dalila (cela avait fait sans doute bondir les puritains) est vraiment amoureuse. Et la destinée de Samson telle qu’elle nous est contée par la Bible est particulière. Un peu à la ressemblance de la Vierge Marie, un ange serait donc apparu à la mère de Samson pour lui annoncer la naissance d’un étrange fils. Que l’on verra, dès l’âge de 5 ou 6 ans, porter une longue poutre sur un petit doigt. Il n’est pas sûr que les interventions de cette mère affolée par le destin de son fils soient très nécessaires. Même si l’on est heureux d’y retrouver en comédienne tragique une Andrea Ferréol impeccable -c’est presque une insulte de surtitrer son texte tant sa diction et sa projection sont parfaites.

Mise en scène sans défaut de Claus Guth, dans un décor unique de grande maison en ruines (bombardée) Guth a cette qualité d’aller toujours à l’essentiel, comme dans les meurtres commis par Aschisch avec une brutalité qui démontre un caractère. Le geste sert de psychologie dans ce monde brutal, seules les femmes (évidemment, et c’est le cas de Dalila), font ressortir leurs émotions. Les lumières (de Bertrand Couderc) anime le plateau, composant par exemple un incendie superbe ou, dans la scène majeure entre Samson et Dalila, éclairée d’un lustre à l’orientale, un de ces tableaux tout de brun et d’ocre (avec des touches de rouge sombre) que l’on voit à Orsay chez les orientalistes. La destruction du temple est en revanche moins réussie, sur la scène trop étroite de l’Opéra-Comique…

On sort en tout cas de ce spectacle heureux, ayant presque envie de chanter, parodiant Gavroche: “C’est la faute à Voltaire / C’est la faute à Rameau”

“Samson”, d’après (et de) Jean-Philippe Rameau, mise en scène de Claus Guth, direction musicale de Raphaël Pichon. Opéra-Comique, Paris, jusqu’au 23 mars.

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