A l’Opéra une “Vestale” de Spontini sous le signe de la Vierge.

Retour à l’Opéra-Bastille d’un opéra de Gaspare Spontini, “La Vestale”, gros succès en son temps (1807) et que Maria Callas et Luchino Visconti remirent à l’honneur dans les années 50. Et comme souvent exécution de belle qualité, mise en scène plus contestable.


Julia (Elza van den Heever), la Grande Vestale (Eve-Maud Hubeaux) et le feu sacré © Guergana Damianova, OnP



On aurait déjà tendance à dire: "Spontini, qui est-ce?” Un peu plus jeune que Chérubini, une petite génération de plus que Rossini. Le programme de l’Opéra-Bastille, faisant appel à un musicologue autrichien, Bernd Feuchtner, écrit: “Le chaînon manquant entre Gluck et Berlioz”, au côté d’une gravure du grand homme en belle tenue d’époque… napoléonienne. Car Spontini, né près d’Ancône, passé en France après des études à Naples, continuant à Berlin, revenant en France avant de s’éteindre fort âgé dans son village natal, avait comme grande qualité d’être le compositeur favori, et donc le protégé, de l’impératrice Joséphine dont on découvre ainsi qu’elle était peut-être aussi mélomane que son impérial époux (qui, lui, préférait Paisiello). “La Vestale”, qui fut un beau triomphe, date donc de 1807, dans les années fastes de l’Empire, ce qui le poussa à rester à Paris à la chute de Napoléon, la capitale française ne perdant pas pour autant son statut de “maggiore citta” de la musique… italienne avec l’arrivée de Rossini, Donizetti, Bellini puis Verdi.

Mais, justement, la musique de Spontini est-elle italienne?

Licinius (Michael Spyres) © Guergana Damianova, OnP

On ne s’est pas vraiment posé la question. La réponse est donc plutôt négative. Elle préfigure surtout -en tout cas à travers cette “Vestale”- le grand opéra romantique “à la française” façon Meyerbeer ou Gounod (ou les Italiens cités plus haut dans leurs oeuvres parisiennes) soit aussi une manière de manier le mélodrame -héroïnes au sort douloureux, grand orchestre très sonore, place faite aux choeurs représentant la foule, tableaux vivants dans de vastes décors- qui inaugure un nouveau traitement des sentiments, excessif autant que démonstratif.

On ne peut d’ailleurs s’empêcher, dans les amours impossibles dont traite “La Vestale”, de penser aussi à un chef-d’oeuvre ultérieur, “Norma”: même personnage de vierge (même si, dans le spectacle de Bastille, Julia, la Vestale, ne l’est plus forcément, en tout cas elle doit désormais faire acte de chasteté) confronté à une liaison dévastatrice et… secrète, sauf que, dans “Norma”, il s’agit d’un général ennemi. C’est ainsi que “La Vestale”, loin de mettre en scène une situation assez invraisemblable (la musique sublime de “Norma” fait oublier cet aspect des choses), s’intéresse aux ravages des dérives religieuses et c’est d’ailleurs sous cet aspect que la mise en scène de Lydia Steier est plutôt convaincante.

Cinna (Julien Behr) © Guergana Damianova, Opéra national de Paris

Les prêtresses de Vesta, dans la Rome antique, devaient entretenir le feu sacré, symbole du foyer familial aux destinées duquel présidait la déesse. Julia, à la demande de son père, a été contrainte de devenir vestale, abandonnant son amoureux, Licinius, considéré comme indigne d’elle. Mais voilà: Licinius revient à Rome en général triomphant et l’amour renaît entre ces deux êtres séparés désormais par le poids terrible de la religion. Mais on est sous Napoléon et pas encore en plein romantisme. Par un coup de théâtre (on n’est pas loin de voir l’Empereur surgir, tel un Jupiter magnanime) les deux amants seront sauvés et l’impitoyable grand-prêtre puni -à moins que, dans la vision de Lydia Steier, on ne tue tout le monde, justifiant cette phrase de Voltaire qui conclut le spectacle: “Le fanatisme est un monstre qui ose se dire le fils de la religion”

Il serait peut-être hasardeux de considérer Spontini et son librettiste, Etienne de Jouy (auteur, plus tard, du “Guillaume Tell” de Rossini) comme des émules de Voltaire. On sait simplement qu’après la Révolution qui avait mis bas le catholicisme il y avait de la part de Napoléon et de son gouvernement une forme d’indifférence à l’égard de l’Eglise avec qui il s’agissait simplement de faire la paix. “La Vestale” qui nous dit clairement les violences de la religion -sous une habile forme… romaine; mais à Rome se trouvait encore le pape!- pouvait ainsi passer la censure sans problème. Lydia Steier trouve d’ailleurs une juste équivalence en habillant les Vestales comme des religieuses peut-être de Port-Royal ou d’un ordre sévère de l’Ancien Régime. Dans des décors assez réussis -entre Panthéon romain et église baroque en ruine- tout ce qui relève de la religion (défilé des bannières et des châsses sous l’autorité de pouvoirs dictatoriaux qui s’appuient sur l’Eglise) est assez bien venu.

La Grande Vestale (Eve-Maud Hubeaux) et Julia. Et les femmes du peuple façon soviétique © Guergana Damianova, Opéra national de Paris

Mais Steier y ajoute une dimension politique qui, évidemment, ne s’y trouve pas et qui l’oblige, surtout à la fin (qu’on ne racontera pas) à nous offrir une tout autre histoire. Outre que, pour les puristes, la république romaine n’était absolument pas ce qu’elle nous montre, on en a un peu assez (et se mêleront aux applaudissements finaux des huées qui s’adressaient à la metteuse en scène) de ce mélange de soldats décérébrés qui torturent, en costumes alternativement staliniens, nazis, franquistes peut-être. Avec, en outre, cette très méchante grande-prêtresse (elle sera punie) sortie de “Le religieuse” de Diderot ou plutôt des livres de Sade, dont l’unique objet semble être de fouetter ses ouailles. Tout cela a été vu et revu et finit par lasser, même -et surtout- si l’on en fait encore un symbole de la violence faite aux femmes à différentes périodes de l’histoire.

On y ajoutera des détails absurdes, comme celui (initial) où un général romain triomphant, par amour, se pochetronne au tord-boyaux comme un clochard -et Michael Spyres (Licinius) a bien du mérite à s’en sortir sans ridicule -mais la voix est évidemment magnifique, la composition du personnage assez nuancée avec de jolies idées -le salut au soldat non avec la main mais avec une bouteille. Il est évidemment le triomphateur d’une distribution de beau niveau, marqué par la défaillance, pour la première, d’Elza Van den Heever. C’est Elodie Hache, sa doublure, qui l’a remplacée et qui, après un premier acte marqué par des aigus parfois criés, trouve la mesure du rôle -très bel acte 2 où elle laisse s’éteindre la flamme de Vesta en chantant son amour, émouvant acte final qui lui vaudra les applaudissements soutenus du public.

Le Grand-Prêtre (Jean Teitgen), la Grande Vestale (E.M. Hubeaux) Julia en doré (E. van den Heever) © Guergana Damianova, Opéra national de Paris

Eve-Maud Hubeaux a aussi quelques difficultés avec des aigus qui sont hors de sa tessiture de mezzo mais son incarnation de la Grande Vestale est assez jubilatoire -projection, présence en scène, puissance vocale, où elle allie le sadisme et la jouissance qui s’y trouve liée. Julien Behr, dans le rôle de Cinna, l’ami sentencieux, rôle toujours difficile, impose un timbre de ténor parfois engorgé mais de belle vaillance, qui n’a qu’un défaut: si près de Spyres avec qui il a beaucoup de scènes, on l’y compare forcément.

Le grand-prêtre de Jean Teitgen, enfin, sombre basse, est d’autant plus terrifiant qu’il ne fait pas résonner les orgues de sa voix. Choeurs vaillants (toujours des aigus un peu précaires chez certaines sopranos) et parfois décalés. Mais Bertrand de Billy, le chef, sait remettre les brebis égarées dans le droit chemin, d’un simple geste de la main -et cela vaut aussi pour les solistes. Il fait surtout entendre l’orchestre déjà riche et bien sonnant de Spontini qu’il tire assez justement vers le romantisme.

Julia arrêtée (Elsa van den Heever) © Guergana Damianova, Opéra national de Paris

Et c’est d’ailleurs aussi le problème de cette “Vestale”: si Spontini se montre un bel orchestrateur, s’il sait écrire pour les voix, il manque d’un vrai talent de mélodiste de sorte que l’on peine à retenir quoi que ce soit, du grand air de Julia “Toi que j’implore avec effroi” à celui de Cinna: “Compte sur mon courage” ou à la déploration finale de Julia “Toi que je laisse sur la terre”. Or l’opéra, le plus souvent, doit proposer de ces mélodies que l’on chante aussi sous la douche, comme un “Barbier de Séville”, douze ans plus tard, en regorgera, sans parler de “Norma” ou des innombrables ouvrages verdiens. C’est aussi la limite de cette “Vestale” mais de cela, évidemment, ni les chanteurs ni l’équipe de la mise en scène ne sont responsables.

C’est tout simplement le devoir d’une scène nationale comme la nôtre d’inscrire dans sa saison un jalon de l”histoire de l’opéra.



“La Vestale” de Gaspare Spontini, mise en scène de Lydia Steier, direction musicale de Bertrand de Billy. Opéra-Bastille, Paris, jusqu’au 11 juillet.

Les photos, prises visiblement lors de la générale, présentent dans le rôle de Julia Elsa van den Heever.







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