A Radio-France Brahms déguisé en Beethoven et Debussy en hispano-écossais

Concert de rentrée à Radio-France avec l’orchestre national. Un programme Brahms et Debussy où s’insérait, dans la série “l’injustice faite aux femmes”, une composition très intéressante de l’oubliée Elsa Barraine…


Julia Fischer, Cristian Macelaru, l'orchestre national de France  © Christophe Abramowitz / Radio-France



Mais une autre femme inaugurait la soirée: Julia Fischer. Résumons: derrière la glamoureuse Anne-Sophie Mutter -beaucoup trop glamoureuse désormais, dit la rumeur- trois violonistes allemandes tiennent le haut du pavé: Isabelle Faust (la plus acclamée), Arabella Steinbacher et Fischer elle-même. On sait de plus que les musiciens allemands refusent d’être des stars et n’aspirent qu’à faire de la musique. C’est ainsi que se présente Julia Fischer, malgré sa robe rouge cerise, avec sa blondeur sage et son regard concentré sur ce qu’elle joue et sur ceux qui l’accompagnent.

On a eu peur quelques instants car l’introduction du “Concerto pour violon” de Brahms sonnait tonitruant, dans ces instants où l’énergie d’un orchestre vire parfois au tapageur -du côté des cuivres particulièrement qui n’y seront jamais vraiment à l’aise. Mais voilà Fischer qui, en deux mesures, reprend la main, impose un style, une pureté, une musicalité totalement dépourvue de spectacle. Et elle s’y tiendra pendant les 40 minutes de cette oeuvre si ample (et si belle), contrôle du son, chant à mi-voix d’un violon qui cherche la plus pure manière de rendre la musique. Bien sûr on peut jouer ce concerto autrement, avec lyrisme, avec romantisme. A condition d’y mettre une ardeur qui ne vire pas au pathos.

Julia Fischer  © Christophe Abramowitz / Radio-France

Julia Fischer, elle, choisit l’option de faire du “Brahms” (comme les violonistes vont dire “le Mendelssohn” ou “le Tchaïkovsky”) un second “concerto” de Beethoven, lui donnant la même élégance dépouillée, la même profondeur, presque métaphysique -je le dis parce que, on le sait, le “Beethoven” est considérée par tous, mélomanes et surtout violonistes, comme l’Everest des concertos pour violon.

Et même dans le finale, où, comme le disait Saskia de Ville qui présentait le concert, on reconnait des accents hongrois, Fischer retient le pur-sang qu’elle a entre les mains (un Guadagnini), aidée d’ailleurs (malgré quelques débordements de l’orchestre, pour qui Brahms est encore parfois terre de mission) par un Cristian Macelaru à l’écoute de sa soliste dans une très jolie (à voir) complémentarité, comme s’il était son second archet. Et même dans l’immense mouvement initial, où il faut savoir varier les reprises des thèmes, Julia Fischer trouve toujours des accents un peu différents -subtilement différents- qui nous conduisent doucement, dans un silence suspendu, à l’élégiaque adagio.

En bis Bach bien sûr -la Sarabande de la “2e Partita”. Mais ensuite (le public insatiable!) un “16e Caprice” de Paganini joué lui aussi “sotto voce”: cela change et… pourquoi pas?

Fischer, Macelaru, l'orchestre  © Christophe Abramowitz / Radio-France

Mais j’étais venu, je l’avoue, pour la dernière partie, les “Images” de Debussy. Admirable partition que l’on donne rarement complète. Car construite de manière indépendante, en deux coutes pièces (7 à 8 minutes), “Gigues” et “Rondes de printemps”, et une troisième, plus longue, “Iberia”, en trois mouvements, 20 minutes en tout, comme une petite symphonie… ibérique. Les “Rondes de printemps”, très françaises, où l’on reconnaît “Nous n’irons plus au bois” et “Do do l’enfant do” (cette chanson-là, il faut vraiment la deviner), quant à “Gigues”, elle s’appuie sur une mélodie de l’ami Charles Bordes (encore un de ces compositeurs français oubliés dont on aimerait, ne serait-ce qu’entendre quelque chose pour en juger) et une autre, écossaise; mais si vous ne le savez pas, vous entendrez du “Claude de France” qui sonne si français, si impressionniste, si admirablement orchestré, avec cette alchimie des timbres magistrale mais difficile à rendre tant les rythmes se superposent, s’entrelacent, subtilité d’interventions qui sollicitent chaque pupitre ou chaque soliste de rang -et là, on ne peut s’empêcher d’entendre combien, même si leur Brahms, au final, était plutôt bien, nos musiciens français brillent dans cette musique-là, qui est à ce point leur A.D.N. Bien sûr, c’est d’abord les bois qui triomphent, mais tous (et les cuivres cette fois très en forme) méritaient les applaudissements… qu’ils ont eu.

A la réserve près, cette fois, d’un Macelaru qui, dans “Iberia”, ne trouve ni le déhanché ibère ni le mystère secret des “Parfums de la nuit” qui, pour sonner un peu différemment (évidemment!) de la “Rhapsodie espagnole” de Ravel, est un peu “pleine lune”. Le chef roumain par trop le nez sur une partition qui, il est vrai, regorge de pièges, cet “Iberia” manque de la grâce étrange et des couleurs mélancoliques qu’on y a entendu sous d’autres baguettes -souvent de légende, on le concède.

L'orchestre national de France  © Christophe Abramowitz / Radio-France

La “2e symphonie” d’Elsa Barraine s’insérait entre les deux géants. Composée en 1938 avec une prescience de la guerre proche (mais, disait la musicienne, “en 38 on savait bien qu’il y aurait la guerre. Il aurait fallu être fou pour ne pas s’en apercevoir”), par une jeune femme de 28 ans, membre du Parti Communiste, dans une composition en trois mouvements, “La guerre”, “Marche funèbre”, “Le retour à la vie”, qui préfigure aussi très exactement ce qui adviendra. Le début (la symphonie sous-titrée “Voïna”, la guerre en russe) sonne comme du Chostakovitch, que Barraine avait pu entendre, mais sans la noirceur des oeuvres du Russe. Et c’est cela qui est intéressant: malgré l’âpreté du thème qu’elle développe il y a toujours comme des bouffées d’air pur, une énergie à la Honegger parfois, qui laisse supposer, même dans cette “Marche funèbre” au coeur du noir", la frappe rapide d’un soleil, vite disparu mais ayant tout de même rappelé sa présence, tel un espoir diffus.

Barraine, prix de Rome en 1929 à 19 ans, avait séjourné là-bas dans les heures les plus triomphantes du fascisme. Il fallut évidemment attendre l’après-guerre pour que cette symphonie concise, d’une ferme et forte orchestration, connaisse le succès, d’autant que la musicienne, avant son départ du P.C.F. en 1949, recevait beaucoup de commandes, musiques de films, de scène, publicités. La source se tarit, certains “amis” se détournèrent, elle devint professeur. Il ne faut pas voir seulement dans l’oubli qui entoure aujourd’hui ses quelque 150 compositions un exemple, encore un, de la violence artistique faite aux créatrices, car, des compositeurs français de ce temps-là, les Henri Barraud, Henri Sauguet, Henri Tomasi, Marcel Delannoy (les premiers noms qui me viennent), lesquels sont encore joués? C’est d’ailleurs le même silence qui entoure les peintres et les dramaturges de ces années 50 où l’on a l’impression, évidemment erronée, que la France était une sorte de désert pour les artistes. Barraine en étant la victime comme les autres.

Une très jolie valse, délicieusement menée par Macelaru, nous permettait de jouer aux devinettes: quelque chose de très français qui basculait dans une mélancolie slave. Waldteufel? Glazounov? Un épigone de Dvorak? Raté. Cécile Chaminade. Ainsi, les femmes étaient réhabilitées.





Concert de l’orchestre national de France, direction Cristian Macelaru: Brahms (Concerto pour violon, soliste Julia Fischer). Barraine (Symphonie n° 2). Debussy (Images, pour orchestre) Auditorium de Radio-France le 12 septembre.









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