A Radio-France un Fauré bien orchestré

L’orchestre de Fauré: ce n’est pas forcément à ses oeuvres-là que l’on pense en l’évoquant. A Radio-France, si, et à juste raison. L’orchestre fauréen, subtil, délicat, qui ne cherche jamais la pompe, était à l’honneur grâce au National, avec le concours de Lucas Debargue dans les deux oeuvres concertantes pour piano.



Marzena Diakun, Lucas Debargue et l’orchestre national de France à l’heure des saluts D.R.





Un beau concert consacré à l’orchestre fauréen qui permet de prendre des nouvelles (bonnes) de l’orchestre national de France. Ce soir-là c’est la cheffe polonaise Marzena Diakun qui officie, dans une maison qu’elle connaît bien puisqu’elle fut l’assistante de Mikko Franck, le chef du Philharmonique, il y a quelques années. Fermeté et élégance: on commence à connaître cette gestuelle des femmes cheffes qui ne sont jamais dans l’hyperbole, pas de grands éclats, des regards, la subtilité de la baguette et même, avec Diakun, la main nue, enveloppante ou directionnelle. En même temps, y a-t-il une manière de diriger plus masculine, plus féminine, et qui s’apprendrait comme telle?

Fauré donc. De quoi, pour le centenaire de sa mort, réviser nos préjugés sur cet orchestre fauréen qu’on néglige un peu -au profit des chefs-d’oeuvre pour piano, pour formations de chambre ou pour la voix. Comparé à celui des deux autres “grands” (Debussy et Ravel) l’orchestre fauréen n’aurait ni la richesse des couleurs impressionnistes de l’un ni la minutie nocturne de l’autre. Oui mais… en écoutant en particulier les deux partitions de pur orchestre, “Pelléas et Mélisande” et “Masques et Bergamasques” on révise vite ces idées peut-être reçues.

Surtout dans “Pelléas et Mélisande”, ce bijou: en quatre mouvements, en moins de 20 minutes, Fauré réussit à rendre l’essence de cette tragique histoire d’amour peut-être pas comme Debussy le fit en deux heures et demie (avec voix et développements) mais avec, pour nous auditeurs, le même sentiment final. Cette tristesse diffuse, cette émotion à peine esquissée et cependant si prégnante, délicatesse des cordes, utilisation millimêtrée des vents: là où un Ravel (mais de 30 ans plus jeune; quant à l’oeuvre de Fauré elle est l’exacte contemporaine de l’opéra de Debussy) s’applique à trouver (et réussir) les alliages sonores les plus rares on imagine un Fauré changer la lumière de sa musique d’un seul trait de pinceau, rajoutant à peine une note, avec l’économie sublime d’un Chardin.

Et Diakun, avec les musiciens du National, a rendu ce “Pelléas”-là dans toute sa terrible mélancolie.

Curieusement “Masques et Bergamasques” , créés en 1919, cinq ans avant la mort de Fauré, manquait de ce subtil esprit de pastiche triste qui en fait le prix. C’était bien en place, très agréable, mais la référence à Verlaine (“Votre âme est un paysage choisi / Que vont charmant masques et bergamasques”) est ignorée (même dans le programme) alors qu’elle exprime déjà l’ironie légère et un peu triviale ou un peu sombre qu’y mettait le grand poète. “Hi hi hi les amants bizarres!” écrit Verlaine. Et Arlequin, Gilles et Colombine, dans cette île de Cythère où ils embarquent avec Watteau, ont toujours mêlé les sourires aux larmes.

Au milieu un “tube”, l’ “Elégie pour violoncelle et orchestre”: sur un thème si simple une oeuvre de jeunesse qui devait être le mouvement d’une sonate. Mais la sonate attendra que Fauré soit un vieux monsieur. Il en reste cette ravissante et, là aussi, mélancolique courte pièce, qu’Aurélienne Brauner, depuis trois ans supersoliste au National, joue avec goût mais en étant un peu trop souvent couverte par l’orchestre…

Enfin Lucas Debargue vint.

C’était logique après son si bel album consacré à tout le piano fauréen. La “Ballade” dans sa version avec orchestre qui est, de son propre jugement, bien plus facile que celle pour piano seul, passe avec une idéale osmose entre les musiciens et le pianiste. Avec ce mélange de rêverie et d’énergie idéales auxquelles contribuent et Diakun et Debargue qui nous font redécouvrir l’élégance de l’oeuvre, sa force et son brillant, gageure aussi pour le soliste qui joue quasiment tout le temps.

Les mêmes… D.R.

La “Fantaisie opus 111”, qui est son pendant mais appartient à la vieillesse de Fauré, ne produit pas le même effet. Superbe quand on l’entend au disque (un ingénieur du son modérément compétent suffit à rééquilibrer les choses) elle souffre d’un piano trop souvent couvert par l’orchestre. Et cette fois ce n’est pas la faute des interprètes mais, nous avoue Debargue, de l’orchestration, confiée par Fauré à Marcel Samuel-Rousseau, qui avait eu le prix de Rome en 1905 alors que Fauré, lui, soutenait Ravel. On sait désormais quels sont ceux qui sont restés dans l’histoire. Fauré n’était pas rancunier mais Samuel-Rousseau a raté son affaire en saturant l’orchestre et l’on se demande comment le créateur de l’oeuvre, Alfred Cortot soi-même, s’en est sorti, sous la baguette, en plus, de Vincent d’Indy.

On ne peut résister enfin à évoquer deux citations du programme: celle de Debussy à propos de la “Ballade”, qui, évoquant l’épaulette glissant de sa robe que la jeune pianiste a remonté “d’un geste charmant”, compare ce geste à l’oeuvre de Fauré. Poulenc, au contraire, écrit: “Il y a des gens qui détestent le champagne, le caviar, les truffes! Et bien moi, je suis allergique à Fauré, et cela depuis toujours” Il n’est pas sûr que le jugement de Poulenc ne soit pas au final plus élogieux que le compliment debussyste.

Debussy, cette exquise langue de vipère…





Concert de l’orchestre national de France, direction Marzena Diakun: Fauré (Pelléas et Mélisande, pour orchestre. Masques et Bergamasques, pour orchestre. Ballade pour piano et orchestre. Fantaisie pour piano et orchestre. Elégie pour violoncelle et orchestre. Avec Aurélienne Brauner (violoncelle) et Lucas Debargue (Piano). Auditorium de Radio-France, le 13 juin.













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