“L’Olimpiade” de Vivaldi: les Jeux Olympiques de l’amour et du hasard

Après l’Opéra de Paris et l’Opéra-Comique, c’est le troisième lieu consacré à l’opéra qui entre en scène: le théâtre des Champs-Elysées qui propose une oeuvre assez surprenante de Vivaldi: l’ “Olimpiade”. Très bonne idée, en lien avec les J.O., et où devait briller Jodie Devos.


A l’entrapinement: Megacle (Marina Viotti) et Licida (Jakub Jozef Orlinski) © Vincent Pontet



Le même deuil, la même émotion, qui imposaient à Michel Franck, le directeur général du Théâtre des Champs-Elysées, quelques paroles d’hommage très touchantes, à l’égal de son homologue de l’Opéra-Comique, à Jodie Devos, en cette soirée de première où elle devait être présente dans le rôle d’Aminta. On se serait délecté de sa complicité avec, par exemple, Jakub Jozef Orlinski, même si celle qui lui succède, Ana Maria Labin, est sans reproche. Mais c’est ainsi, et, pour beaucoup, la découverte de cet opéra de Vivaldi aura été une vraie et bonne surprise, dans la mise en scène d’un Emmanuel Daumas inspiré.

Etonnante idée, du dernier Vivaldi -1734, sept ans avant sa mort-, qui s’appuie sur un livret de l’inépuisable Métastase remettant en scène, à une époque où on les avait parfaitement oubliés, les Jeux Olympiques, ceux de la Grèce antique, précisons-le. Métastase (Pietro Metastasio) avait écrit cela pour l’anniversaire de l’impératrice d’Autriche (on ne voit pas très bien le rapport, ladite, Elisabeth-Christine, était-elle une sportive cachée?) et voici que Caldara fut le premier à s’emparer du livret, écrire une partition, avant que Vivaldi, qui avait conquis Rome ce qui déplaisait à Venise -vous suivez?- n’eût à coeur, en s’appropriant le livret à son tour, de reconquérir des positions dans sa ville natale.

Aristea (Caterina Piva), Clistene (Lugi De Donato), Argene (Delphine Galou) © Vincent Pontet

Suivrez-vous également l’intrigue? Elle repose sur un quiproquo, et il y avait déjà de la triche chez les sportifs. Un roitelet de la Grèce, Clistene, promet comme récompense à l’athlète qui gagnera les jeux sa propre fille, Aristea. Le jeune Licida, qui n’est pas plus sportif que vous et moi (surtout que moi) mais très amoureux de la jeune femme, envoie à sa place et sous son nom son ami Megacle, lui-même mélange de Teddy Riner et de Nikola Karabatic. Mais l’ancienne fiancée de Licida, Aristea, a suivi le jeune homme et s’est réfugiée dans les bois au milieu des nymphes et des satyres. Ajoutons la présence d’Aminta, précepteur de Licida et son confident, un peu sorcier aussi.

On l’avoue, l’entr’acte n’a pas été de trop pour essayer de comprendre qui était qui, avec ces femmes qui chantent des rôles d’homme, ces hommes qui chantent des rôles d’homme mais parfois avec une voix… de haute-contre. Et dans une atmosphère étrange qui, du burlesque et du farfelu qu’imprime à sa mise en scène Emmanuel Daumas (avec parfois un petit manque de rythme), vire peu à peu à ce qui pourrait devenir une tragédie -entre rire et sombres nuages à la manière de la comédie italienne mais deux siècles plus tôt.

Aristea (Caterina Piva) et son acrobate (Quentin Signori) © Vincent Pontet

Et après tout, comme disait quelqu’un: “On se fiche de l’histoire pourvu qu’il y ait de beaux airs” Oui mais quand même…

Et c’est vrai que les airs sont beaux, très beaux et surtout très vivaldiens mais le “Prêtre roux” réussit, avec des éléments réduits (un orchestre à cordes et deux cors. Plus une guitare baroque et un théorbe qui apportent des couleurs curieuses), à renouveler constamment les airs de ses personnages, avec la faculté, comme le dit Jean-Christophe Spinosi, le chef, grand vivaldien devant l’Eternel, que sa musique “change d’humeur en une fraction de seconde” Spinosi qui sait diriger grandiose, violent, puissant, son ensemble Matheus; et parfois justement dans la pleine émotion -celle de Mégacle qui accepte la mort dans le “Se cerca, se dice”, celui de Licida, “Con questo ferro”, lui aussi hanté par son trépas. Comme, finalement, ils le sont tous, car en-dehors de l’amour rien n’existe. Et même pas le sport.

Licida (Jakub Jozef Orlinski) © Vincent Pontet

Des athlètes s’entraînent. En petite tenue, short et micro-tricot de corps. Au milieu, Licida, cheveux bouclés, plus malingre, croit-on, et l’on sent que le haute-contre vedette qu’est Jakub Jozef Orlinski s’amuse beaucoup à incarner le ludion Licida, jusque dans ses pirouettes, ses sauts maladroits d’apprenti sportif -et il faut en être un très bon pour les rater à demi. Un Orlinski qui, du coup, à force de “faire le sportif” et donc l’acteur, est moins concentré sur le chant mais dans son premier air plus “sérieux”, concentré, en place, il est magnifique. Et il le restera, tête un peu brûlée, insouciant, se livrant à son autre passion, la breakdance, ce qui, après tout, va très bien à un athlète des Jeux, même à Venise au XVIIIe siècle (le long du Grand Canal)

Cela participe aussi de l’intérêt grandissant que l’on prend à cette histoire: la manière dont les personnages sont représentés, dans ce mélange de folie douce et de poésie: l’ Argene de Delphine Galou, qui porte des cornes de faune puisqu’elle vit dans la forêt (!), l’Aristea de Caterina Piva, capricieuse princesse -affublée au départ d’une sorte de cône d’or en guise de coiffe, qu’elle finit par jeter. Elle ravit dans l’air où elle déplore que son père l’offre ainsi au vainqueur des jeux, pendant que l’acrobate Quentin Signori, en arrière-plan, beau contrepoint, fait un numéro de corde.

Dans le palestre: Megacle (Marian Viotti) et au fond Licida (Jakub Jozef Orlinski) © Vincent Pontet

Toutes deux sont très bien (moins de présence chez Galou), ainsi que les deux hommes, le roi cruel (croit-on; mais on saura pourquoi) et cependant un peu bouffon, Clistene, alias Luigi De Donato, et son factotum Alcandro (Christian Senn), très juste dans le désarroi dont il parsème son récit final pour l’amour de son maître.

Mais c’est Marina Viotti qui est la plus surprenante en Megacle: presque un garçon, affublée d’une coque de body-builder évidemment hypertrophié, vêtue d’un short et de deux ficelles en guise de maillot de corps, elle met la même puissance dans la beauté d’un chant qui se teinte d’ombre peu à peu quand Megacle découvre l’objet de son amour et veut mourir lui aussi. On y ajoutera Ana Maria Labin (dans le rôle promis à Jodie Devos), elle-même (ou lui-même, on ne sait plus) habillé (e) en Vénitien (ne) du temps, présence remarquable et autorité servie par un sens des vocalises et une virtuosité qui n’interdit ni l’émotion ni le doute.

Le condamné Licida (Jakub Jozef Orlinski) et le ministre Alcandro (Christian Senn) © Vincent Pontet

Beau travail aussi de la chorégraphe Raphaëlle Delaunay grâce aux cinq danseurs-athlètes qui ponctuent, accompagnent, accentuent, soutiennent les chanteurs, avec finesse, drôlerie, élégance, danse moderne comme pouvait l’être celle de la Grèce antique (ou du Paris des futurs jeux) Daumas les utilise avec intelligence, comme point de référence constant au contexte de l’histoire, bizarre, on le redit, récit conforme aux codes de l’opéra baroque mais intégré dans un univers qui en est si éloigné -le sport. Ne serait-ce que pour cela (mais pour bien plus que cela, et Vivaldi d’abord) cette “Olimpiade” mérite sans doute une médaille d’or.



“L’olimpiade” d’Antonio Vivaldi, mise en scène d’Emmanuel Daumas, direction musicale de Jean-Christophe Spinosi. Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 23 juin à 17 heures, les 25, 27, 29 juin à 19 heures 30.

























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