Les Arts Flo’, le plaisir du vin et la mélancolie du tendre

“Airs sérieux et à boire”: un joli concert de fin de saison organisé par William Christie avec quelques musiciens et chanteurs amis explorant un répertoire léger et parfois bien moins du XVIIe siècle.

Toute la troupe sous l’autorité de William Christie © Sébastien Grébille



Combien sont-ils? Dix exactement, en comptant William Christie, la discrétion même derrière son clavecin. Deux violonistes, Emmanuel Resche-Caserta et Tani Trotman, la viole de gambe de Myriam Rignol et Thomas Dunford à l’archiluth, bel instrument moins grand que le théorbe et plus… que le luth comme on peut s’en douter. Autour d’eux des habitués de cette musique, la soprano Emmanuelle de Negri et la mezzo Anna Reinhold (on dira, comme à l’époque, “dessus” et “bas-dessus”) le haute-contre Cyril Auvity et le ténor Marc Mauillon (lui, on dira “basse-taille), enfin la basse Lisandro Abadie (on dira basse). Et un chapelet d’airs de toute sorte, aux beaux textes souvent, coupés de quelques morceaux instrumentaux d’auteurs anonymes (“Pièces pour le violon a quatre parties de différents autheurs”) ou de Marin Marais, volontaires et dansants.

Des auteurs parfois peu connus, un Sébastien Le Camus par exemple et son “Délices des étés” chanté par Auvity et Mauillon avec un charme exquis. Mais parfois bien plus comme Couperin et son “Zéphyr, modère en ces lieux” -on reste sous Louis XIV, cette fois d’extrême justesse, 1711, quatre ans avant la mort du Roi-Soleil (“Le soleil a fermé les yeux de l’inhumaine que j’adore”, même si c’est chanté par Emmanuelle de Negri c’est bien un garçon qui parle, rassurons-nous. Et de plus elle se contente de dormir: “Ruisseaux, coulez un instant sans murmure” Merveilleux temps où, malgré les inondations, on pouvait ordonner aux rivières de ne pas troubler le sommeil des belles!)

Les chanteurs: Mauillon, Abadie, Reinhold, de Negri © Sébastien Grébille

Celui qui se taille la part du lion (ou du soleil) c’est Michel Lambert, mort très âgé (86 ans) en 1696. Comme quoi la mélancolie conserve: les belles se font coquettes ou indifférentes (c’est souvent la même chose) et Lambert fait soupirer les amants, expert en formations diverses: “Quand l’amoureuse langueur” (“Dites-moi, belle Iris, n’avez-vous point à faire/ D’un amant fort discret et qui vous aime bien?”): on y va sur la pointe des pieds et dans les choses de l’amour il semble que le pouvoir féminin était réel. “Il est vrai qu’Amour a ses peines (on n’en doute pas) / Mais ses peines sont des plaisirs” (Ouf! Et déjà les hommes aimaient souffrir, se languir, etc)

Les trois hommes doivent se relayer pour s’adresser à Chimène dont l’absence “Puisque l’absence a trop peu de pouvoirs” les plonge dans un tel désespoir. Et un Marc Mauillon seul et magnifique nous raconte les “Sombres déserts, retraite de la nuit” sur un air presque folklorique mais d’une tristesse diffuse où l’amant se délecte (“Son tourment est si beau qu’il n’en veut pas guérir”) Ah! comme l’amour est souffrance, même quand c’est une simple bergère pour qui l’on soupire… On aimerait d’ailleurs aussi savoir de qui sont tous ces textes si joliment écrits.

Dunford et les chanteurs © Sébastien Grébille

Cette série, à l’exception des “sombres déserts”, est datée, comme la suivante, de 1689. Lambert a donc 79 ans et il semble que les amours malheureuses l’aient plutôt bien conservé. Il sera presque aussi plaintif ensuite: “Par mes chants tristes et touchants” (“Vous connaissez, Iris, la douleur qui me presse”. Décidément cette Iris revenue est bien ingrate) Mais voici une assez amusante confrontation de Negri et Abadie: “Je suis aimé de celle que j’adore” (Oui mais “Nos plaisirs sont d’autant plus doux/ Que tout le monde les ignore/ Et que nous trompons les jaloux”. N’est-ce pas un peu pervers? Ou lucide, la société du temps étant à ce point cancanière? Et l’on se plaint d’aujourd’hui…

A quatre, de Negri et les trois garçons, “Je ne veux plus vous voir”, d’une Phylis inhumaine -elles ont toutes des prénoms de précieuses… Mais voici d’une Anna Reinhold qu’on avait moins entendu une superbe déploration endeuillée (chaude voix grave), “Ombre de mon amant” (“Ombre toujours plaintive, hélas que voulez-vous?”) Il n’y a plus qu’à entrer dans les ordres…

Et l’on reste dans le triste avec la “Plainte pour la mort de monsieur Lambert” (à 86 ans tout de même, on l’a dit) d’un certain Jacques Dubuisson, la basse et la viole, à quoi succède notre Marin Marais plus mélancolique. Il est temps peut-être de s’amuser avant que l’on pleure tous.

Christie, Dunford, Mauillon, Reinhold © Sébastien Grébille

Avec Marc-Antoine Charpentier et Henry Desmarest qui, chacun, vont parodier leurs oeuvres sérieuses, Charpentier sa “Médée” qui, désormais, s’appellera Sylvie (autre prénom du tendre, et qui fait moins peur que la meurtrière de ses propres enfants), Desmarets sa Circé, “Aimer et boire, braver le chagrin, c’est là toute ma gloire”, ah! quand même, on boit pour s’étourdir. Mais “L”amour et le vin/ Règlent tous mon destin” Entretemps Couperin, qu’on ne savait pas si polisson, était intervenu: “Trois vestales champêtres et trois poliçons (justement)”: “Quel bruit vient troubler nos retraites?” murmurent les (sages?) Louison, Suzon, Thérèse, à quoi répondent les trois garçons: “Dans un fiacre à notre aise/ Nous venons pour vous voir./ De nous bien recevoir/ Tel est votre devoir/ Faites donc bien les choses/ Nous aurons bouches closes/ Et pour payer vos frais/ Voicy trois bilboquets/ Ils sont droits et bien faits” On sait par les rumeurs qui concernaient Henri III quel symbole s’attachait au jeu du bilboquet mais on ne saura pas si Louison, Suzon et Thérèse auront été comblées par un si beau cadeau.

Nos musiciens, exemplaires, donneront le mot de la fin à Desmarest: “Aimez, aimez, tout le reste n’est rien” Oui, mais après un petit coup, c’est mieux encore.





“Airs sérieux et à boire”: oeuvres de Lambert, Le Camus, Couperin, Marais, Dubuisson, Charpentier, Desmarest et anonymes. Solistes et musiciens des Arts Florissants dirigés par William Christie. Cité de la Musique, Paris, le 25 juin.









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