Qui va sano va au piano (La Roque-d’Anthéron, jeudi)
Arrivée à La Roque-d’Anthéron. Chaleur accablante car moite, orageuse. Journée des “Ensembles en résidence”. C’est la tradition du 15 août.
J’ai bien dormi.
Je ne dis pas cela parce que je vous ai laissé tomber depuis début juillet, avec une sorte de silence très “Belle au bois dormant” (d’accord, le sentiment “Belle au bois dormant” est ridicule pour un homme à barbe blanche. Mais je n’ai rien trouvé de mieux) De plus (disent les grincheux. Ou les fidèles. Sont-ce les mêmes?) La Roque-d’Anthéron, ça se termine dans quelques jours. Vous n’auriez pas pu y aller plus tôt, au début par exemple, pour nous en faire jouir?
(Ce terme de “jouir” désigne donc des grincheux d’un certain âge, les plus jeunes utilisant ce verbe, on le sait, dans un sens plus direct. Et encore…)
Eh! bien non, je n’aurais pas pu.
Pourquoi?
Parce que.
Mais aussi parce qu’à La Roque il n’y a pas de moins et de plus. Il y a du bon, du bon et du bon. Et quand c’est du moins bon c’est au début, au milieu ou à la fin. On ne sait pas. On n’est pas aux J.O. pour passer des éliminatoires à la finale. Par exemple hier ces “ensembles en résidence” qui ont leur journée (tous les ans) du 15 août pour montrer comment ils ont bossé depuis une semaine, en “master class” avec de vrais artistes pas stars (mais il y aussi de vrais artistes parmi les stars et je ne dis pas ça pour être bêtement consensuel), qui sont des chouchous pour René Martin, Olivier Charlier, le violoniste, l’altiste Louise Berthaud, les pianistes Claire Désert et Emmanuel Strosser et le Trio Wanderer.
Et la difficulté pour ces jeunes ensembles, donc, c’est qu’ils passent toute la semaine d’ avant le 15 août entre les mains de chacun de ces professeurs-là et que chacun d’eux ne va pas forcément leur donner les mêmes conseils, ou insister sur la même chose, les accents, la musicalité, la conduite de la phrase, la cohésion. Et après ça, on te jette dans le grand bain, tu as assimilé tout ça, ou pas, tu te débrouilles… (ou un verbe plus grossier)
Le grand bain, le terme est juste. A peine s’était-on installé à 20 heures dans le parc, assurés que nous étions d’assister à un concert au sec, la pluie battante commençait et les bénévoles (merci les bénévoles!) de distribuer Sopalin pour essuyer les chaises et ces fameux et si fins imperméables jetables japonais, si fins pour des gros doigts comme les miens de sorte que j’étais trempé avant de comprendre le haut, le bas, la capuche, en ayant perdu le numéro de ma place, de sorte que je me réfugiais vers le haut comme un pestiféré, loin des autres spectateurs qui ressemblaient à des Abribus. Mais d’un journaliste mouillé, prêt à attraper un rhume ou, qui sait, une fluxion de poitrine, vous vous fichez parfaitement.
Heureusement je suis resté sourd au son de la pluie et au roulement du tonnerre.
Assez en tout cas pour entendre d’autres choses très intéressantes.
Et mieux que ce que j’avais entendu en fin d’après-midi, avec une oreille neuve (j’arrivais) mais eux, peut-être fatigués, dans un grand gymnase peu fait pour l’écoute (solution de repli en cas d’orage), car ils avaient donné (c’est le principe du 15 août) un aperçu (gratuit) de leur talent, aux gens du village, normalement sous les platanes et au milieu des fontaines mais là, les fontaines venant du ciel, on était dans ce lieu qui aurait mieux convenu à Wembanyama et ses amis (sans la pression de samedi dernier)
Et, par exemple, le trio Kobalt, peu inspiré dans le “2e Trio” de Brahms, était bien meilleur dans le méconnu “Trio n° 2” de Turina, cohérent, avec un pianiste inexistant dans Brahms et qui relevait la tête, dans un très beau second mouvement sourdement espagnol. Turina, qui ne m’a jamais ébloui, n’est jamais meilleur que quand ses racines ibériques ressortent, même en aquarelle.
Kobalt, seul trio “étranger” puisque venu de Suisse italienne (ils ont fait leurs études à Lugano). Le trio français “Parrhésia” (cela signifie “liberté de parole” en grec ancien, cela va-t-il les aider à se faire un nom?), plein de dynamisme dans le “40e Trio” de Haydn (mais Haydn, c’est facile si on y met de l’élégance et de la pudeur) était encore meilleur dans le premier mouvement “Allegro Agitato” (c’est dire!) du “1er Trio” de Mendelssohn et plus encore dans le merveilleux “Trio” du vieux Fauré, qui véhicule la jeunesse du coeur.
(Avec Parrhésia, c’étaient fromage et dessert. On ne l’a pas regretté)
Le Mendelssohn, on l’avait déjà entendu déjà bien en place l’après-midi (vous aurez compris qu’à part le Turina, assez bref, on n’écoutait jamais l’oeuvre complète) par le troisième trio de cette session, le Trio Aloysius: c’était un Ravel sombre et plein de fantômes, comme on joue rarement ce “Trio”, à ce point de désespoir, y compris le “Pantoum” (forme de poème, si mes souvenirs sont bons, réunionnais, dont Ravel a fait une forme universelle, mais de musique) et bravo (on la citera) à la pianiste Hijune Han qui déchaîna des orages à l’heure où un nouvel orage, pas si loin, se faisait entendre.
(On était tous comme des Capitaines Nemo prêts à s’enfoncer dans le sous-marin des nuages. Mais le dieu des Vents nous contempla avec dédain et chassa Jupiter vers d’autres horizons)
Un duo, Sarah Jegou, violoniste au ton très pur, d’une belle élégance, qui tient ainsi et la “Sonate” de Franck (désormais incontournable pour tous les violonistes alors que si peu la jouaient il y a quelque 60 ans) et puis, le soir, la “3e sonate” de Brahms. Mais elle s’appuyait aussi sur le remarquable Rodolphe Menguy, aussi juste brahmsien qu’à l’aise dans la partie redoutable du piano franckiste. Du coup, il faudrait que la jeune femme se lâche un peu, qu’elle prenne vraiment le pouvoir -doit-on lui rappeler que dans les sonates “violon ET piano” c’est le violon qui est en premier, le piano fût-il Rubinstein ou Argerich? Ou Pollini (qui n’a d’ailleurs jamais joué, de mémoire, en duo)
Et voici pour finir le “Duo Pierrot” (pourquoi ce nom?), deux pianistes qui ont l’air d’avoir douze ans et demi (ils sont beaucoup plus âgés, ils en ont 17), pas passionnants dans la “Sonate à 4 mains K. 357” de Mozart (mais c’est, une fois n’est pas coutume, à cause de Mozart) et pourtant fulgurants de fougue et de précision dans la “2e suite pour 2 pianos” de Rachmaninov, à laquelle s’attaquent d’habitude les plus grands, Argerich encore ou Berezovsky. Eux s’appellent Martin Jaspard et Paul Lecocq. Ils grandiront encore (même s’ils ne sont pas espagnols -je le dis pour les happy few).
Avant, pendant et après, les grands intervenaient. Vincent Coq et Raphaël Pidoux (du Trio Wanderer) dans une rare “Elegie pour violoncelle et piano” de Liszt. Charlier, Pidoux et Berthaud (avec Claire Désert) dans le magnifique et sombre “Quatuor” de Chausson (si proche de la trouble et lyrique “Chanson perpétuelle”), les mêmes (plus Sarah Jégou, passée dans la cour des grands) dans le “Quintette avec piano” de Schumann. Un “Quintette” qui, grâce au piano d’Emmanuel Strosser, sonnait presque joyeux.
“Ensembles en résidence”: Trios Parrhésia, Kobalt, Aloysius. Duo de pianos Pierrot. Sarah Jégou et Rodolphe Menguy, violon et piano. Avec Claire Désert, Emmanuel Strosser, Vincent Coq (pianos), Olivier Charlier (violon), Lise Berthaud (alto), Raphaël Pidoux (violoncelle). Oeuvres de Haydn, Mozart, Brahms, Franck, Mendelssohn, Chausson, Fauré, Liszt, Schumann, Rachmaninov, Turina et Ravel. Festival de piano de La Roque-d’Anthéron, le 15 août.