“Atys” de Lully ou Qui m’aime me tue.

C’est sans doute aujourd’hui l’opéra le plus célèbre de Lully, en raison évidemment de la production légendaire de 1987 sous la direction de William Christie. En voici une autre distribution, 36 ans ont passé, le charme de la musique est toujours présent.


Véronique Gens (Cybèle) et les danseurs d’Avignon © Eva Barbot



Evidemment j’ai comme tant d’autres la nostalgie de ne pas avoir assisté à cet “Atys” de légende, même si sur mon précédent blog je n’ai pas non plus démontré une passion sauvage pour la musique baroque. Mais il n’est jamais trop tard. Et cet “Atys”, vu l’autre jour, complétait fort bien mes deux expériences d’il y a peu, l’ “Iphigénie en Tauride” de Desmarets (cf chronique du 15 janvier), la “Médée” de Marc-Antoine Charpentier (chronique du 20 février). Ainsi donc, voici l’initiateur, monsieur Lully et son “Atys”.

C’était éblouissant, il en reste des images, peut-être un DVD, en tout cas la captation sur You Tube, avec la mise en scène si belle -d’intelligence et de pure vision- de Jean-Marie Villégier, les costumes magnifiques de Patrice Cauchetier, la musicalité d’un Christie et de ses Arts Florissants, la chorégraphie de Francine Lancelot qui avait retrouvé les codes de la danse baroque. Difficile de faire oublier cette réussite-là. Sauf qu’il faut bien avancer, que d’autres chanteurs, d’autres musiciens, aussi bons, également qu’un autre public, encore plus informé, ne vont pas ranger cet “Atys” au musée de la mémoire commune sous prétexte qu’on parle encore de sa (re)découverte. D’ailleurs l’ “Atys” qui circule et que nous avons vu l’autre dimanche à Tourcoing était plus centré sur la musique et le sera pleinement le 26 mars au Théâtre parisien des Champs-Elysées puisque ce sera une version de concert.

Est-ce Melpomène (Eleonore Pancrazi) ? © Eva Barbot

Qu’est “Atys”? Lully avait déjà commencé sa collaboration avec Quinault, la dernière oeuvre de Molière bénéficiant après son “divorce” avec Lully de la musique de Charpentier, de toute façon en 1676 Molière était mort. Atys dans la mythologie est un demi-dieu ou dieu mineur. Ce qu’on appelle un parèdre, c’est-à-dire “assis près de”, en l’occurrence la déesse Cybèle. Celle-ci n’était pas purement grecque, elle venait d’Asie mineure, elle régnait sur la nature sauvage, ce monde aux phénomènes mystérieux qui effrayaient les anciens (et les moins anciens aussi) Cybèle tomba amoureuse du bel Atys. Cela ne se finira pas très bien, comme souvent dans la mythologie grecque.

Quinault et Lully ont repris ce personnage un peu oublié pour broder une histoire d’amour à multiples tiroirs très conforme à des canons… plutôt raciniens. Soit une nymphe, Sangaride, fille du fleuve Sangar, promise à Célénus, le roi de Phrygie (en Turquie aujourd’hui) Mais voilà: ce mariage est de raison et Sangaride est amoureuse d’Atys. Quand elle apprend qu’il l’aime aussi, elle se trouve tiraillée entre la passion et le devoir. Atys, lui, est dévoué à la déesse Cybèle. Mais celle-ci est tombée elle aussi amoureuse d’Atys. Lui non. On sait d’ailleurs ce qu’il en coûte d’aimer au-dessus de sa condition. Atys est par ailleurs le favori de Célénus. Les deux trahis vont se venger cruellement, avant d’être saisis de remords -même une déesse peut regretter sa faute, sans avoir le pouvoir de ressusciter ceux qu’elle a condamnés. Elle le transformera cependant en pin (dans la légende, l’opéra parle d’un arbre)

Mathias Vidal (Atys) à jardin, Véronique Gens (Cybèle) à cour © Louise Courant


Raciniens, on l’a dit. Avec faste, ampleur, une inspiration musicale jamais démentie, au point qu’après la création d’ “Atys” à Saint-Germain, Louis XIV, qui avait d’ailleurs assisté à plusieus répétitions avant la création le 10 janvier 1676, demanda qu’il fût remonté deux ans plus tard, puis encore en 1682, de sorte que l’on nomma “Atys” “l’Opéra du roi”. Par la suite “Atys” fut représenté dans maintes villes du royaume, au moins jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle.

On comprend aussi davantage quand on voit “Atys” ce principe suivi par les successeurs de Lully (on rappelle que Lully avait l’exclusivité de la création opératique) de donner une place à la foule, au peuple, histoire qu’ils acclament les rois et les dieux, quitte à retarder l’intrigue. Ici, c’est d’abord le Temps qui rend hommage au Roi-soleil puis les muses interviennent et encore, à l’acte I, le roi de Phrygie prépare-t-il une fête en l’honneur de Cybèle. Prétexte donc à des musiques qui sont jouées sur des instruments à hanches recréés -hautbois ou cromornes-, à des danses aussi qui respectent, autant que faire se peut (avec quelques touches plus modernes) les canons de l’époque. Une chorégraphie qu’on ne verra pas à Paris, que l’on doit à Victor Duclos avec les danseurs de l’Opéra d’Avignon. Chorégraphie élégante, spectaculaire au début (belle troupe) mais qui manque de souffle sur la fin et devient confuse. On y retrouve cependant le principe baroque (même si on ne s’en prétend pas un spécialiste) où les pieds dansent, les bras dansent, mais rarement les deux ensemble…

Alexis Kossenko au premier plan © Louise Courant

Cet “Atys”-là sera donc passé par Versailles (Centre de Musique baroque), Avignon (Opéra), Tourcoing et Paris (Théâtre des Champs-Elysées) Pourquoi Tourcoing où nous l’avons vu, dans ce théâtre aux 800 places quasi toutes occupées, ayant pris le nom de Raymond Devos (né si près, de l’autre côté de la frontière), exemple de “théâtre industriel” où les patrons, du temps où Tourcoing était une grande cité lainière, envoyaient leurs ouvriers (méritants) écouter des opérettes? Mais le baroque a aussi sa place dans la grande cité nordiste grâce à Jean-Claude Malgoire qui créa ici l’ “Atelier lyrique”, redécouvrant dès les années 1970 Charpentier, Lully, Haendel même ou les opéras de Vivaldi, bien avant Christie et ses camarades. Créant pour ce faire l’orchestre de “La grande Ecurie et la Chambre du Roy'“ qu’Alexis Kossenko, flûtiste à l’origine mais tombé dans le baroque en fondant son orchestre des “Ambassadeurs”, a fusionné il y a quatre ans (après la mort de Malgoire) avec le sien, pour créer “Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie”

Hommage donc au pionnier, et à Tourcoing qui abrite toujours l’ “Atelier lyrique”: Kossenko soulève musiciens, choeurs et solistes pendant plus de trois heures avec un amour de cette musique et une élégance qui rend hommage au faste orchestral de Lully mais aussi à des moments plus intimes, plus poétiques, de beauté pure, la déclaration d’amour poignante de Sangaride à Atys, le désespoir de celui-ci à la mort de Sangaride et la longue et fameuse “scène du Sommeil” où les Songes veulent éclairer Atys endormi sur ce qui l’attend.

Les saluts. Au premier rang Mathias Vidal, Véronique Gens, Alexis Kossenko, Sandrine Piau (Sangaride), Tassis Christoyannis (Célénus) © Eva Barbot

Parfois évidemment la scène est un peu encombrée, les choeurs (des faiblesses du côté des ténors), les danseurs, les musiciens des hanches, cherchant leur place, parfois elle est trop vide quand, dans le noir, derrière leur pupitre à Cour et à Jardin, les chanteurs souvent en noir eux aussi se distinguent de justesse. On retrouve la fine fleur du chant baroque d’aujourd’hui, autour de Mathias Vidal, Atys survolté, projection excellente, qu’on voudrait parfois plus intérieur. Les deux héroïnes sont des habituées qu’on a toujours un bonheur extrême à retrouver. Sandrine Piau, douce Sangaride, si belle de voix, mais qui parfois pourrait prendre de l’extraversion de son partenaire. Véronique Gens enfin, magistrale dans sa robe rouge, qui passe en revue tous les états d’âme de la déesse, aussi '“grande dame” dans l’impitoyable cruauté de la femme bafouée (d’une manière si différente de sa Médée) que trop humaine quand elle s’aperçoit du désastre qu’elle a provoqué. Iphigénie, Médée, Cybèle, trois incarnations superbes pour Gens.

Tassis Christoyannis n’est pas toujours d’un style “baroque” (quelques imprécisions de rythme) mais son incarnation de Célénus est bien “royale”. Eléonore Pancrazi, David Witczak, diversement bien en divers rôles; Antonin Rondepierre, Adrien Fournaison, sans reproche. Hasnaa Bennani très juste en confidente.

Il y aura un enregistrement qui permettra d’entendre les progrès effectuées dans l’approche baroque depuis 1987. En attendant, cet “Atys” trouvera refuge sous forme de musique pure au Théâtre des Champs-Elysées pendant qu’à Tourcoing une Marie-Nicole Lemieux succédera à Véronique Gens et Sandrine Piau. Heureux gens du Nord!




“Atys” de Lully, livret de Philippe Quinault. Soli, choeur, ballet de l’Opéra Grand Avignon (chorégraphie de Victor Duclos), Orchestre Les Ambassadeurs- La Grande Ecurie, direction Alexis Kossenko. Théâtre Raymond-Devos, Tourcoing, le 17 mars.

Cet “Atys” sera repris au Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 26 mars en version de concert.

Le Théâtre de Tourcoing accueille, lui, samedi 23 mars, Marie-Nicole Lemieux, Andrew Staples et l’orchestre “Les Siècles” dirigé par François-Xavier Roth, pour “Le chant de la terre” de Gustav Mahler.






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