Marc André et sa contrebasse “En Chantée”

Un tout jeune contrebassiste était à la salle Gaveau il y a quelques jours. Accompagné par le flamboyant pianiste Simon Ghraichy. Marc André, franco-autrichien, qui veut faire sortir son instrument des “ploum ploum” habituels (y compris en jazz) et qui y réussit fort bien. Avec la complicité d’un Ghraichy qui jouait sur son propre terrain, l’hispanité et Schumann…



Simon Ghraichy, Marc André © Laurent Hini



L’hispanité mais pas que… Reprenons donc. Il faut déjà ajouter que Simon Ghraichy, pour l’instant, ne s’est pas signalé, à Paris en tout cas, par une recherche frénétique de partenaires de musique de chambre. Mais voilà: tout a un début et ce début est plutôt réussi. D’abord parce qu’original. Ensuite parce qu’à plusieurs voix ou plutôt plusieurs mains. Les transcriptions (ce ne fut, et pour cause, qu’un programme de transcriptions) réalisées -très habilement le plus souvent- par les deux complices dans un programme où la France aussi était à l’honneur (Debussy, Fauré) mais qui était tout de même (il est vrai qu’on ne sait pas les passions musicales de Marc André) marqué du sceau Ghraichy, celui-ci ayant cependant, au-delà de ses racines hispaniques (mexicaines pour être précis), une passion intime pour Schumann, compagnon de coeur du pianiste, ce qui peut surprendre quand on ne le connait guère.

Mais c’était d’abord la découverte du tout jeune Marc André qui faisait le prix de ce concert. Et de son ambition de faire de la contrebasse un instrument (presque) comme les autres. Ambition de la jeunesse, certes. Car derrière ses allures de sage angelot Marc André cache déjà une volonté assez remarquable. Né et résidant à Vienne, de père autrichien et de mère française -avoir du sang autrichien vous conduit évidemment et naturellement à la musique! -, madame mère ayant par ailleurs une formation de pianiste et des origines espagnoles. Elle raconte très bien l’itinéraire d’un garçon à qui, très tôt, on met un violon dans les mains: sauf que le petit garçon pousse des cris en écoutant les sons d’un instrument qui lui casse les oreilles. Il se précipite aussitôt vers un autre instrument , au son plus sourd, plus rond, plus moelleux, le violoncelle. Il a à peu près cinq ans. Puis voilà que cinq ans plus tard (vers dix ans, si l’on sait compter) le violoncelle est encore trop haut, trop aigu, et -ah! il y a encore plus grave? Oui, oui, Marc. Et c’est même un gros machin qui est plus grand que toi… qui s’appelle une contrebasse.

© Laurent Hini



Cela s’est à peu près passé comme ça . Et dès le début du concert des deux artistes on est convaincu par le son, le phrasé, le ton poétique, mélancolique même, du jeune homme, sur l’accompagnement martelé (un peu trop) de Ghraichy: la fameuse “Andaluza”, la plus célèbre des “Danses espagnoles” de Granados. L’autre danse du même, l’ “Oriental”, plus sombre encore avec ses accents d’outre-Méditerranée, équilibre vraiment le duo, en un très beau moment de voyage. Et l’on se dit que Ghraichy, qui comprend si parfaitement cette musique, devrait nous offrir l’intégrale du cycle de Granados, moins connu que les “Goyescas” (à l’exception de ces deux danses-là), et qui sont bien moins enregistrées, en-dehors de l’inévitable et parfaite Alicia de Larrocha.

Le coeur secret de Ghraichy suivra: le cycle des “Dichterliebe” de Schumann, les 16 brefs poèmes de Heinrich Heine mis en musique l’année du mariage (enfin!) de Robert avec Clara. Très beau, très juste, très tendre, et d’une transcription facile, le piano jouant… le piano (on veut encore entendre Ghraichy dans d’autres Schumann, les grands cycles ou le “Concerto”) et la contrebasse la voix du poète -puisque ces “Amours du poète” ont plutôt été chantés par des hommes, même si des femmes (de Lotte Lehmann à Nathalie Stutzmann) s’y sont essayées aussi.

La danse de Falla (de “La vie brève”) sera moins réussie. Le piano couvre la contrebasse qui peine à se faire entendre -on n’est pas acousticien mais on sait que les sons graves ont moins de projection que les sons aigus, cela vaut aussi en chant; et c’est un des problèmes de la contrebasse. Une brève respiration alors pour Marc André pendant que Ghraichy, avec humour, nous prend pour cobaye, en jouant les deux études de Szymanski, motoriques, inspirées par Bach, qu’il avait créées et qu’il devait rejouer en Pologne pour les 70 ans du compositeur deux jours plus tard, proposition qui venait de lui être faite -sa création à Boston ces jours-ci de la “Sonate” de l’Italien Baboni-Schilingi (comme il nous l’a signalé au passage) prouve son intérêt pour la musique contemporaine…

Tenue sobre et/ou fashion victime © Laurent Hini



Un Ghraichy comme à son habitude flamboyant, fashion victime consentante, à côté du jeune André très sobre, chemise blanche, gilet noir, pantalon noir. Les plus beaux moments arriveront alors, ce “Beau soir”, mélodie de jeunesse de Debussy, cette “Pavane” de Fauré, au lointain balancement si juste -lointain, c’est-à-dire d’un autre siècle. Mais Piazzolla pour finir, “Maria de Buenos Aires”, et l’esprit portègne porté par Ghraichy où Marc André retrouve peut-être aussi certaines de ses racines, avant un “bis” déchirant, le “The man I love” de Gershwin, immortalisé par tant de voix, à commencer par celle d’Ella Fitzgerald, et où, grâce à André et Ghraichy, l’équilibre entre jazz et classique est parfaitement atteint.





Marc André, contrebasse, Simon Ghraichy, piano: oeuvres de Granados, Falla, Piazzolla, Schumann, Debussy, Fauré, Szymanski et Gershwin. Salle Gaveau, Paris, le 26 mars.

















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