Karine Deshayes et les voix d’”ardentes flammes” d’Opera Fuoco

Pour les 20 ans d’ “Opera Fuoco”, David Stern, son créateur, invitait quelques-uns (plutôt unes) des meilleur (e) s chanteurs/euses d’aujourd’hui pour un concert en forme d’hommage aux jeunes et moins jeunes pousses, les plus confirmées brillant désormais au firmament du chant international, telle la marraine de la soirée, Karine Deshayes.


De g. à d. Chantal Santon-Jeffery, Karine Deshayes, Irina Kychliaruk, Cyrielle Ndjiki Nya, Axelle Fanyo. D.R.



“Opera Fuoco” partait donc d’une louable initiative en 2003; et vraiment utile puisque la compagnie, perdurant, fêtait donc ses 20 ans l’autre soir au Théâtre des Champs-Elysées. Son créateur, David Stern, le fils du grand Isaac Stern, avait en tête de proposer aux jeunes chanteurs un marchepied de carrière en conduisant pour eux des projets lyriques —Opera Fuoco ayant encore aujourd’hui une résidence en région parisienne, à l’Opéra de Massy très précisément

Cela étant dit, il fallait surtout se laisser aller -c’est la séduction d’un concert-anniversaire- à retrouver un certain nombre de voix aimées ou moins connues (pour l’instant), avec l’intérêt aussi, comme le disait une dame mélomane pétrie d’une intuition que le critique n’a pas toujours, “que ces voix soient toutes très différentes” même si leur tessiture était souvent proche.

De fait, si l’on s’est prêté dans notre introduction à jouer le jeu -blet- de l’écriture inclusive, ce n’est pas cette fois sans raison: la présence féminine était écrasante, en tout cas jusqu’au final -j’y reviendrai- où l’on voyait surgir plusieurs garçons sortis d’on ne sait quelle pouponnière, cachés peut-être dans les placards du TCE avant de surgir au milieu des dames, hommage très sympathique au plus grand de tous (on ne va pas chipoter), Mozart himself.

8 femmes dans la Barcarolle des “Contes d’Hoffmann” D.R.


Bien sûr, quand on veut réunir une palette de solistes, il y en a toujours qui ont des mots d’excuse de dernière minute et il faut leur trouver des remplaçant(e)s -”18 heures avant” nous dit David Stern qui, pour l’occasion, retrouve sa pointe d’accent américain. Les manquantes étaient donc Adèle Charvet et Vannina Santoni. Pour la seconde qui devait chanter le “Qui la voce” des “Puritains” de Bellini, la remplaçante fut l’Ukrainienne Irina Kychliaruk, très joli timbre égal et bien conduit mais avec un vrai manque de projection, surtout dans les ensembles, peut-être est-ce dû aussi à une forme de trac -quand on apprend qu’on va chanter dans quelques heures un air qui n’était pas prévu.

Pour Adèle Charvet c’est Karine Deshayes, en bonne copine, qui s’y collait, dans le redoutable (par ses écarts) “Dopo notte” de l’ “Ariodante” de Haendel, où Deshayes mettait de la fureur et, évidemment, une impeccable technique, au détriment cependant des nuances mais on ne va pas se plaindre non plus. D’autant que Deshayes succèdait à Chantal Santon-Jeffery, habituée du chant baroque, qui a mis beaucoup de digne élégance dans un autre Haendel, le “V’adoro pupille” du “Jules César en Egypte”, peut-être un peu trop placide. Les deux femmes se retrouveront dans une délicieuse “Canzonetta sull’ Aria” des “Noces de Figaro” du cher Mozart -quand la Comtesse (Karine Deshayes) dicte à Suzanne (écrivant sur son mobile, on est moderne ou on ne l’est pas) la lettre qui piégera son mari. Exquis moment, chanté avec humour et complicité.

Comme Opera Fuoco a aussi un orchestre sur instruments anciens il fallait le faire entendre. Patatras (un peu)! L’ouverture d’ “Arianna” de Benedetto Marcello faisait entendre (souvent) des trompettes qui ne se montraient pas à leur avantage. Non plus que les cordes graves. Ce sont donc les violons qui firent le job. Tout ce petit monde sera bien meilleur dans l’ouverture qui… ouvrit la seconde partie, “L’amor conjugale” de ce Giovanni Simone Mayr (prénom italien, nom autrichien) dont l’histoire musicale eût retenu le nom s’il n’avait été… rossinien mais pas assez et mozartien mais pas assez. Un air mélancolique de l’opéra (“Una moglie sventurata” -une femme malheureuse-) trouve Santon-Jeffery en la belle compagnie d’Olivier Courdy- ciel, un homme!- baryton à la voix bien timbrée.

Karine Deshayes, Rosine mutine D.R.


L’autre homme, Léo Vermot-Desroches, fasait entendre le “Ah! lève-toi, soleil” du “Roméo et Juliette” de Gounod avec des aigus qui claquaient glorieusement mais qui n’étaient pas toujours “à la note”, sans parler d’une diction “à la française” que j’ai toujours trouvée bien désuète. Mais avant, encore de la place aux femmes: une Natalie Pérez au joli timbre clair de… mezzo mais dans un air de la “Bérénice” de Haydn un peu longuet, est-ce la faute de Haydn ou de la cantatrice qui peine, dans un rôle assez compliqué, à apporter de la vie à la déploration de la reine de Palestine? Une Axelle Fanyo, couleurs sombres d’une tessiture claire, forte personnalité à la Jessye Norman, qui nous impressionnait dans le “Furcht und Hoffnung” de Telemann et mettrait ensuite une fureur inédite dans l’air “Come scoglio” (Fiordiligi) du “Cosi fan tutte”. Fanyo plus faite sans doute pour les grands rôles tragiques, peut-être Lucia, Medea ou Tosca.

Magnifique, celle qu’on avait découverte à Nantes dans un programme de mélodies, et qui a désormais une présence plus retenue mais non moins grande que Fanyo, Cyrielle Ndjiki Nya, longue robe de noir et d’argent! Ce sera seulement le “D’Oreste, d’Ajacce” de l’ “Idomeneo” de Mozart encore. On aurait bien repris une autre Cyrielle, même si l’on s’était consolé avec “Una voce poco fa” (Rossini, “Le barbier de Séville”, pous ceux qui n’auraient pas suivi) où Karine Deshayes suit les traces et l’humour de Callas sans ses chatteries. Ndjiki Dia qui domine ses camarades, pourtant excellentes, dans une “Barcarolle” des “Contes d’Hoffmann” à huit voix. Où l’on voit surgir tout à coup une jeune chanteuse non annoncée, dont on ignore toujours le nom. Elle a de la grâce, du timbre.

Et elle va incarner joliment Chérubin dans le final des “Noces de Figaro” où envahissent la scène toutes les femmes et d’autres encore, chacune incarnant pour une phrase ou deux qui Suzanne qui la Comtesse… chacune ou chacun car voici les hommes, dont Laurent Naouri surgissant de nulle part (des cintres?) en invité-surprise, le Comte ou Figaro. C’est très amusant, très réussi, un peu foutraque mais le public est ravi. Et donc, caro Opera Fuoco, buon compleano e tutti auguri di bella vita.

Cyrielle Ndjiki Nya. Cette fois en parme. D.R.





“Opera Fuoco fête ses 20 ans”, oeuvres de Marcello, Telemann, Haendel, Haydn, Mozart, Mayr, Rossini, Bellini, Gounod, Offenbach. Solistes et orchestre, direction David Stern. Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 9 avril.





















Précédent
Précédent

Avec Lucas Debargue un Fauré for ever

Suivant
Suivant

Marc André et sa contrebasse “En Chantée”