Aux armes, musiciens! (De la musique aux Invalides)

On imagine assez mal, c’est vrai, que la cour des Invalides puisse résonner d’autres musiques que les marches militaires. Et pourtant… parmi les lieux musicaux de Paris le domaine des Invalides n’est pas le moins mélomane. Explications…


La cour d’honneur des Invalides © Anne-Sylvaine Marre-Noël, musée de l’Armée



Elle s’appelle Christine Dana-Helfrich. Et c’est elle qui depuis tant d’années met au point dans le domaine militaire des Invalides une programmation exigeante, diverse, qui ne résonne nullement en permanence, loin de là, de trompettes et de tambours. Et pour tout dire, moi qui y ai mes habitudes depuis pas mal d’années, j’ai fini aussi par oublier les lieux où je me trouve, leur solennité, pour écouter Chopin ou Vivaldi ou Prokofiev, qu’on attendrait moins à proximité du tombeau de Napoléon (lui-même, on le sait peu, grand mélomane par ailleurs et qui avait de l’oreille…)

On entre ici dans les hasards étranges de la vie où une jeune femme, il y a quelque trente ans, mélomane mais se destinant à l’égyptologie, croise dans sa Bresse l’homme fort de la région, Pierre Joxe, patron de la Saône-et-Loire et par ailleurs à l’époque ministre de la Défense de François Mitterrand. Mais lui aussi très grand mélomane et pas seulement pour écouter le clairon. Il veut redynamiser la programmation musicale des Invalides (qui existait déjà) mais aussi d’autres lieux sous la tutelle de l’Armée. “Il s’agissait, dit madame Dana-Helfrich, d’organiser également des concerts au Val-de-Grâce par exemple (où l’hôpital fonctionnait encore) ou à l’Ecole militaire, à l’hôtel de la Marine ou au château de Vincennes” Mais bientôt on se recentra sur les Invalides, sur les espaces des Invalides, d’abord dans la cathédrale Saint-Louis et puis dans le Grand Salon (sous le portrait quasi en pied de Louis XIV, idéal pour la musique de chambre); plus intime encore, dans le salon Turenne, un des quatre réfectoires où les pensionnaires prenaient leurs repas, “entourés des peintures murales polychromes des batailles du Roi-Soleil! “

Christine Dana-Helfrich, Pierre Joxe parti (on n’est jamais ministre très longtemps), se retrouve seule aux commandes de saisons à bâtir, dans un petit bureau encombré au sein du domaine. Elle découvre la richesse musicale souvent méconnue des lieux : “On oublie que le Conservatoire de Paris (qui n’avait pas ce nom-là) fut créé par la Convention en 1795 à partir d’un institut de musique militaire; et au départ c’étaient surtout des classes d’instruments à vent puisqu’il s’agissait de former les cadres, justement, des musiques militaires. Et d’ailleurs, grâce aussi aux généraux qui se sont succédé à la tête du musée de l’Armée et qui nous ont toujours soutenus, la saison musicale doit laisser une part aux différentes formations de l’Armée, qui sont assez nombreuses, choeur de l’Armée française, Musique de l’Air, qui n’est pas seulement un orchestre d’harmonie (ils ont été invités aux Etats-Unis en 2017 pour célébrer le centenaire de l’ entrée en guerre des Américains) Mais aussi l’orchestre symphonique de la Garde républicaine” Que l’on a entendu défendre de manière remarquable , et en très grande formation, le “Concerto pour piano” de Busoni, chronique du 30 janvier dernier.

Au début de son mandat, donc, Christine Dana-Helfrich, dans les différents lieux, se retrouve avec un nombre de concerts considérables à monter, misant sur des formations qui, bientôt, seront des stars (“Les Talens lyriques de Christophe Rousset, le Parlement de musique de Martin Gester, le Concert spirituel d’Hervé Niquet”), faisant venir, par les ambassades, des formations d’Espagne, de Cuba, de Croatie, de Slovaquie (“peu connues mais brillantissimes”) car il fallait fournir!

Quelques temps plus tard, le ministère de la Défense confie au musée de l’Armée une mission d’ “opérateur de l’Etat au titre de la musique” et donc au travers de sa saison musicale “Car la musique, aux Invalides, n’est pas qu’au fil des concerts. Certes il nous faut mettre en valeur, exalter, l’hôtel des Invalides et son histoire. Mettre évidemment à l’honneur les formations musicales militaires et particulièrement les pupitres des vents, ce qui passe aussi par des commandes d’oeuvres (une récente pour choeur et orchestre à Karol Beffa, créée en 2021 pour le bicentenaire de la mort de Napoléon) Biens sûr encore, cela va de soi, accompagner les grandes commémorations historico-militaires. Mais il y a plus: il n’y a pas ici que les grandes orgues construites par Mansart. Il y a aussi, au sein du musée de l’Armée. pas seulement des armes mais des instruments de musique, 200 d’excellente facture, hautbois, clarinettes, trompettes, buccins, ophicléides... C’est Adolphe Sax qui, à Paris, en même temps qu’il perfectionnait le saxophone et divers autres instruments, va complètement réorganiser la musique militaire de ce temps-là. Soutenu par un Berlioz, qui fut le premier à écrire dans le domaine classique pour le saxophone”

La cathédrale Saint-Louis des Invalides © Pierre-Luc Baron-Moreau, musée de l’Armée, RMN Grand-Palais

Un Berlioz auteur de l’oeuvre la plus emblématique, à quoi l’on réduit trop souvent la musique militaire: cette “Symphonie funèbre et triomphale”, créée en 1840, et non, comme on le croit parfois, pour le retour des cendres de Napoléon mais pour commémorer le 10e anniversaire de la Révolution de 1830. “Un Christoph Eschenbach, tacle-t-elle, voulait se l’approprier quand il dirigeait l’orchestre de Paris et nous empêcher de la jouer alors que ce chef-d’oeuvre revient de droit historiquement à l’orchestre de la Garde républicaine. Imaginez…”

Manuscrits anciens. “L’Antiphonaire des Invalides”, ce recueil de plain-chant illustré d’enluminures polychromes par les premiers pensionnaires des Invalides à la demande des Lazaristes de Saint-Vincent-de-Paul et qui date de 1682-1683. Puisque les Invalides, contrairement à Versailles, furent édifiés en un temps record, Louis XIV en ordonnant l’érection en 1670 et les lieux commençant à fonctionner 4 ans plus tard.

C’est donc tout un domaine musical qui va bien au-delà de la quarantaine de concerts que Christine Dana-Helfrich doit organiser désormais chaque année. Evidemment la thématique des expositions au musée de l’Armée (qui chapeaute les activités culturelles) peut aider mais ne fait pas une saison entière. On imagine cependant le plaisir d’une programmatrice à rêver sur telle ou telle période de l’histoire. L’an prochain “nous célébrerons le centenaire des accords de Locarno. C’est très excitant” Rafraichissons-nous la mémoire, à l’heure où l’Europe ne va pas très bien -mais ne fut-ce pas toujours le cas?

Les accords de Locarno ne scellaient pas seulement une possible réconciliation franco-allemande encore en devenir, grâce à deux ministres des Affaires étrangères à la longévité remarquable, le Français Aristide Briand et l’Allemand Gustav Stresemann. Ils incluaient pour une paix européenne d’autres pays du continent, l’Angleterre, la Belgique, la Pologne, la Tchécoslovaquie et même l’Italie pourtant déjà mussolinienne. De quoi, on le comprend, composer une très riche saison musicale autour de nos différents peuples.

Que manque-t-il alors? Justement, nous dit Christine Dana-Helfrich, ce qui est l’objet de cet article: “La reconnaissance du travail accompli, elle est actée auprès de la critique, du milieu musical. Elle l’est aussi au sein de notre propre maison. Moins auprès du grand public et du public de proximité parisien” Et l’on en a eu encore la preuve ces temps-ci autour de nous en évoquant les concerts organisés ici: un festival de regards étonnés, “ah! bon, on y fait de la musique? Et pas forcément de trompettes et de clairons?”

Non, non. Oyez, braves gens, ce qui vous attend dans les jours qui viennent: le 4 mars c’est Denis Podalydès qui viendra conter l’histoire du lieu sur des compositions du Grand Siècle, Lully ou Couperin. La semaine suivante, la virtuosité du piano de Liszt et de ses contemporains ouvrira l’année lituanienne en France -avec aussi le plus grand compositeur du pays, Ciurlonis. Loin de l’image des arquebuses et des bombardes.

En attendant, faisons de la musique!



Prochain concert donc aux Invalides dans le Grand salon: l’histoire des lieux contée par Denis Podalydès, avec Olivier Baumont et le “Concert de la Loge” de Julien Chauvin, musiques de Lully, Couperin, Marais, Grétry, Gossec et d’autres… Ce sera le 4 mars à l’occasion du 350e anniversaire de l’accueil des premiers pensionnaires.

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