De Bach à Brahms le pianiste Nathanaël Gouin fait ses “caprices”

“Caprice”: c’est le titre du Cd-concept de Nathanaël Gouin, brillant représentant de la jeune génération, qui le présentait ces jours-ci à la salle Cortot, écrin de bois parisien à taille humaine. Etrangement, le Cd et le concert différaient, le concert étant aussi l’occasion d’inviter des instrumentistes amis.

 

Nathanaël Gouin salle Cortot, Paris © Jean Fleuriot


“Caprice”, quésaco? Une forme très ancienne qui remonte à la Renaissance: forme instrumentale, légère, amusante, fantaisiste… Plus près de nous le “Capriccio” de Stravinsky, le “Capriccio espagnol” de Rimsky-Korsakov, le “Capriccio italien” de Tchaikovsky (tiens, que des Russes!) décrivant des ambiances de fêtes, et populaires. Et puis les “24 caprices” de Paganini, morceaux brillants s’il en est. “Caprice” donc, plutôt “Capriccio” à l’italienne. Ou, à la française, selon l’humeur de Gouin lui-même, qui nous offre des oeuvres qui ne sont pas du tout des “Caprices” (dans le concert) ou qui le sont parce qu’il veut qu’ils le soient. Donc l’humeur du pianiste. Est-ce d’ailleurs toujours “léger, amusant, fantaisiste”? Point du tout. Alors?…

La tendresse d’un frère inquiet

Il est vrai aussi qu’un des premiers “Caprices”, celui qui ouvrait le concert et qui est haut dans le Cd, n’a rien de franchement rigolo, d’un compositeur sublime mais dont l’humour est assez caché, Jean-Sébastien Bach. Le “Caprice sur le départ de son frère bien-aimé”, oeuvre d’un jeune homme de moins de 20 ans, au titre italien qui signifie, plus que départ, “éloignement”. On se demande où il est, ce frère (il semble qu’il soit parti vers la Suède inhospitalière), s’il est malade et même encore vivant mais il revient et c’est la joie. Une joie que Gouin gomme un peu (encore plus sur le Cd), comme si c’était du grand Bach des cantates, avec un esprit austère qu’il n’y a pas. Il s’agit simplement de la tendresse d’un frère inquiet.

Les invités du concert étaient très bien: la contrebassiste Lorraine Campet qui a des accents de violoncelliste pour jouer deux lieder de Josephine Lang: qui est-ce? Une oubliée de l’époque de Clara Schumann et dont on aimerait maintenant entendre la voix -puisqu’elle composa surtout lesdits lieder et beaucoup d’autres.

Il y aura aussi Astrig Siranossian, pour deux pièces violoncelle-piano de Nadia Boulanger, afin de vérifier, même si c’est bien écrit, que Nadia n’avait pas le génie de Lily, la soeur cadette. Elle le savait d’ailleurs. Enfin Guillaume Chilemme vint, qui joue l’adaptation pour piano et violon, et plus difficile encore que l’original, du “24e Caprice” de Paganini par Szymanowski. Bravo à la folle virtuosité de Chilemme, qui introduisait aussi aux “Variations sur un thème de Paganini” de Brahms (le même fameux Caprice mais cette fois pour piano seul)

Nathanaël Gouin salle Cortot, Paris © Jean Fleuriot

Curieusement aucun de ces trois invités ne se retrouve sur le Cd. Et non plus le même “Caprice” pour piano de Maurice Ohana, compositeur dans une veine boulézienne et qu’on ne joue plus guère: Gouin retenant le 2e d’un cycle de trois, grappe de notes brutalistes assez rébarbatives alors que le “Caprice 1” du Cd est plus aimable (je n’ai pas dit aimablissime) est joliment conduit.

Suivent deux raretés que l’on retrouve sur le Cd: un inédit de Reynaldo Hahn de 1943, “Mignouminek” (pas d’explication à ce titre bizarre), retrouvé par Gouin dans le fond de Royaumont, versé par un collectionneur et musicien de l’époque, François Lang, mort à AUschwitz un an plus tard. Très jolie oeuvre qui ressemble à une valse-caprice de Fauré -belle mélodie enlevée avec chic en de très jolies modulations, et qui, tel était l’esprit de Hahn, ne traduit pas l’état d’humeur si sombre de cette année-là. La “Valse-caprice n° 2” de Fauré (sur le Cd mais pas pendant le concert: vous suivez?) a, elle, de jolies grâces un peu “salonnardes” qu’on verrait davantage chez Hahn mais finit par l’emporter par le souffle et l’ampleur du propos. “Le festin d’Esope” de Charles-Valentin Alkan, ce bizarre virtuose aux compositions redoutables enchaîne, avec ce titre énigmatique, les variations les plus folles sur un beau thème presque marin, sans qu’on en sache plus.

Pas assez de Brahms!

Restent les morceaux de bravoure qui, évidemment, ne sont pas non plus les mêmes du concert au Cd. A la salle Cortot c’étaient de beaux Brahms . Le “Capriccio opus 76 n°1” si mélancolique et tendre et vraiment écrit “Capriccio”. Pour dire “pièce libre selon mon humeur” sans du tout le brio. Du pur Brahms . Mais voici: puisque de ces huit pièces (“Klavierstücke”) 4 sont des “Capriccio” (1, 2, 5 et 8), les autres étant des “Intermezzi”, pourquoi ne pas les avoir tous joués? D’autant que Gouin se révèle un excellent brahmsien, poétique et sensible, et que ce recueil n’est pas forcément le plus connu, au profit des derniers opus (116, 117, 118, 119)

Joués ou enregistrés… Comme ces “Variations sur un thème de Paganini” qui concluent la soirée, auxquelles Gouin, avec une grande intelligence, donne une identité différente, unies cependant qu’elles sont par l’écriture puissante et le climat… vraiment brahmsien (donc pas du tout italien) dans lequel elles baignent. Mais -et la question s’adresse au concert comme au Cd- pourquoi donc le livre 2 disparait-il? On ne savait pas que Brahms l’eût moins réussi. Question, on le suppose, de durée du Cd (déjà, et c’est tout à son honneur, très rempli).

Nathanaël Gouin avec Guillaume Chilemme © Jean Fleuriot

Autre étrangeté -et l’on en vient au coeur du Cd, plutôt à son ouverture: la “Rhapsodie sur un thème de Paganini” de Rachmaninov. Bon. Comme il s’agit de variations sur le fameux “24e caprice” il a sans doute paru d’autant plus intéressant à Gouin de comparer (ce n’est pas si fréquent) le travail du compositeur russe et celui de Brahms. Où l’on s’aperçoit combien Brahms est plus proche dans son travail de l’original de Paganini. Ce qui en soi ne veut rien dire. Le subtil travail de Gouin étant dans Brahms de différencier des variations qui pourraient se répéter un peu trop, dans le Rachmaninov il s’efforce de… on s’interroge au début; et l’on comprend vite: dans cette oeuvre, décrite par lui-même comme le “5e concerto pour piano” du Russe (ce qui n’est pas faux), mettre une touche, disons, au-delà des clichés, française, pour un compositeur qui, ces dernières années (ces dernières 20 ou 30 années), a été oh! combien, réhabilité par ses compatriotes, est devenu du coup presque incontournable -mais par qui? Les Français ne s’y sont guère risqués, ou sans grande réussite -un Tharaud par exemple. Ou des Français passés par la Russie, Debargue ou Kantorow. Gouin s’y risque -et il a raison. Son Rachmaninov, superbe de doigts, tient parfaitement la route et réussit à y entraîner un “Sinfonia Varsovia” (et le chef Aleksandar Markovic), réticent au début et qui n’est pas toujours exemplaire ensuite mais qui a quelques beaux moments.

Un Rachmaninov très français

Que fait Gouin? Quelque chose de -peut-être pas joyeux, n’exagérons pas, “joyeux” et “Rachmaninov”, c’est complètement antinomique. Mais de très français, la clarté, l’élégance, la précision, qualités que les Russes ont aussi mais imprégnés, je devrais même dire tatoués, de romantisme. Gouin joue ce Rachmaninov-là presque comme du Ravel ou du Debussy et c’est évidemment les variations les plus lentes qui le trouvent au mieux, cette fois soutenues par l’orchestre -allez écouter les variations 12 et 18 qui sont magnifiques -précision: des variations, il y en a 24, puisque c’est le “24e caprice” de Paganini, avec le thème qui vient, c’est original, après la 1e variation.

Le concert, avant un petit Bach de fin, se presque-terminait par une transcription de l’air de Nadir des “Pêcheurs de perles” de Bizet, “Je crois entendre encore”, magnifique morceau transcrit par Gouin dans un style exquisement Bollywood. Quant au Cd, aussi bizarrement composé soit-il (mais rattrapé largement par le Rachmaninov), il vaut aussi par le Reynaldo Hahn et le Alkan. Il faudra à Gouin désormais offrir tout un Cd à Brahms -avec l’intégrale des “Paganini”, l’intégrale de l’opus 76 et -suggérons-lui les "4 ballades opus 10”, si belles et pas si souvent jouées. Ce n’est pas un caprice de ma part mais une demande officielle.

“Caprice”, oeuvres de Bach, Brahms, Rachmaninov, Hahn, Fauré, Alkan et Ohana. Nathanaël Gouin, piano (avec l’orchestre “Sinfonia Varsovia”, direction Aleksandar Markovic). Un Cd Mirare



















Bertrand Renard est l’auteur







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