Callas a 100 ans

Callas a 100 ans. On le dit au présent. Car elle revit au cinéma dans l’éblouissante soirée qu’elle donna à Paris, à l’Opéra-Garnier, le 19 décembre 1958. Soirée unique. Mondaine au départ mais aussi à ce point musicale. Et retrouvant toutes ses couleurs, y compris celle de sa robe…



Callas dans “Norma” © Fonds de dotation Maria Callas




Cette résurrection, on la doit à Tom Volf et ses équipes. Un Tom Volf qui se consacre, on le sait, à la mémoire de Callas, avec parfois des bonheurs divers. Mais là il touche juste, d’autant que les conditions de la “résurrection” n’étaient pas si évidentes. On passera donc sur les “désynchronisations” des paroles, commentaires des journalistes (non identifiés) de la R.T.F. (futur O.R.T.F.) ou interviews de Callas confiés à d’autres moments.

L’important c’est évidemment la soirée, donnée intégralement car c’était aussi la première diffusion en Eurovision et bien sûr en couleurs, l’Europe entière assistait au “miracle” Callas, c’est dire l’exceptionnel d’un événement de “musique classique” qu’on n’ose plus imaginer aujourd’hui. Soirée mondaine, on l’a dit, présidée par celui qui était encore le président de la République pour quelques jours, René Coty, seul car veuf. Quelques têtes (dé) couronnées aussi, le duc et la duchesse de Windsor, la comtesse de Paris. Jean Cocteau, qui était de tous ces événements-là et même Brigitte Bardot dont on saura donc qu’en ce Noël 1958 elle était en couple avec Sacha Distel, à son bras, sourire éclatant.

Et Callas, un délicieux air humble (?) et mutin, style “Tout cela pour moi qui ne suis qu’une modeste émigrée grecque?”

La diva

Et de replier ses mains sur ses épaules ou plutôt sur les grands pans de sa robe dans ce “Casta Diva” où elle attend l’introduction musicale avec concentration, seuls les brillants du collier apportant la touche de solennité mondaine que réclame la circonstance. Une robe que l’on voit sur You Tube dans un tremblant noir et blanc et dont on sait désormais qu’elle était d’un magnifique velours grenat, de sa couturière italienne qui était la “Madame Grès” de la péninsule, Biki . Au-delà, ce “Casta Diva” qui ouvre le concert dans un silence hallucinant (et qui sera suivi de la “Cavatine” de cette même “Norma”) signale les fondamentaux de l’art de Callas à cette époque, le bel canto. Se succéderont donc Bellini, Verdi, Rossini et Puccini (celui-ci n’était pas forcément si connu en France en ce temps-là) Manque au quatuor Donizetti que Callas chantait aussi évidemment, dans sa part dramatique (“Lucia di Lamermoor”) autant que comique (“Don Pasquale”)

On a tout dit de cette “Casta Diva” qui nous suspend, comme l’assistance de l’Opéra-Garnier, aux lèvres de la Diva, à cette beauté lasse du chant qu’elle incarne, comme un frisson musical dont la trace subsiste encore 65 ans après. A peine si on avait noté (mais là on l’entend et on le voit!) la faiblesse insigne de l’entrée du choeur -ces dames complètement hors rythme, les hommes rattrapant un peu la catastrophe, et un orchestre déstabilisé, sous la baguette de George Sebastian, chef d’origine roumaine un peu oublié qui aura l’occasion de mieux faire ensuite.

Callas dans “Tosca” © Fonds de dotation Maria Callas


La tragédienne

“Le Trouvère” la trouve cette fois tragédienne, avec ce “D’amor sull’ali rosee” chanté “sur les ailes” mais surtout le “Miserere” où l’oeil sombre, les gestes accompagnant les notes graves (tessiture de mezzo), préfigurent déjà la “Médée” pasolinienne, avec ce maquillage bleu (très années 60 déjà) des statues primitives qui donne le sentiment d’un fantôme surgi des Cyclades. Et cette fois le choeur (d’hommes) à la hauteur. Le versant lugubre, halluciné, où Callas retrouve, au-delà du chant verdien, les racines des grands mythes antiques dont elle aurait pu, actrice, nous proposer une approche admirable.

On passe à un autre registre avec la Cavatine de Rosine (“Le barbier de Séville”, Rossini) enlevé avec un chic absolu et où l’on admire la capacité en moins d’une seconde à changer de visage, par une de ces qualités qu’avait Callas plus que tout autre: cette attention aux mots et donc aux émotions qu’ils véhiculent , comme quand Rosine nous explique qu’elle peut être bonne fille (et Callas, grand sourire, séductrice jusqu’aux cheveux) mais qu’il ne faut pas trop la chercher car elle pourrait mordre (et le regard virant à un outrenoir que Pierre Soulages n’aurait pas renié)

Et encore “Tosca” © Fonds de dotation Maria Callas

L’actrice

Mais la seconde partie est presque plus inoubliable encore car elle nous donne l’occasion, unique et évidemment désormais perdue, de voir Callas jouer. Dans une mise en scène pépère mais efficace, à laquelle ne manquent ni les fauteuils Empire ni les gilets napoléoniens, se joue la confrontation de Tosca et de l’ignoble Scarpia. Et l’on sent Callas (qui ressemble incroyablement à Fanny Ardant, à moins que ce ne soit l’inverse) moins à l’aise dans la psychologie de cette femme horrifiée, impuissante (sans le basculement dans la folie d’une Lucia di Lamermoor qui la précipiterait dans une dimension monstrueuse): Tosca est affolée mais normale. Brave fille. Et il faut le chant pour que l’on sente la tragédie intime qui est sienne; avant, enfin, que l’idée du meurtre et sa réalisation presque simultanée transforment Tosca. Et cette montée vers le crime, évidemment, Callas adore…

Il faut dire aussi qu’elle a face à elle un des plus magnifiques Scarpia qu’on ait entendus (et vus), un Tito Gobbi qui joue de son apparence bonasse (un peu rond, un peu fort, un peu passe-partout) pour distiller avec une jubilation ravie la noirceur de son âme, la cruauté de ses dessins, sa capacité à torturer et faire torturer sans scrupules et avec un sadisme qui l’honore. Avec ça une voix somptueuse, une égalité de ton parfaite, une projection magnifique, au point que Callas est presque un peu reléguée au second plan, jusqu’aux dernières minutes sanglantes. On remarque à peine le Mario, pas très bon comédien mais très belle voix, d’un Albert Lance qui fut un superbe Werther et faisait honneur à l’école française de chant: maquillé à la truelle de quelques contusions au visage, ce qui est l’apanage des victimes à la scène mais rarement dans la vraie vie où beaucoup ne se relèvent pas.

Tito Gobbi aura l’élégance de se tenir un peu en retrait aux saluts finaux; il n’y aura évidemment pas de rappel. Callas se retire, délicieusement délicate. Il n’y aura non plus d’autre soirée parisienne, quoiqu’elle ait dit quelques mots gentils pour ce “magnifique public”. Qu’aura-t-elle pensé, elle si critique d’elle-même, de cette soirée-là et de sa réception? Elle emportera ce secret-là et tant d’autres dans sa tombe. Elle, pour quelques jours, ressuscitée.

“Callas à Paris”, un film de Tom Volf. Soirée du 19 décembre 1958 à l’Opéra-Garnier: au programme Bellini (Norma), Verdi (Le Trouvère), Rossini (Le barbier de Séville), Puccini (Tosca). Dans les salles Pathé.





















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