“La folle journée 2”, mes origines à moi…

“Aux origines”, c’est le thème de cette 30e “Folle journée” de Nantes. De quoi donner au journaliste l’envie de se pencher sur ses propres origines. Musicales, évidemment. Qu’alliez-vous croire?


Le château de Nantes D.R.



L’envie m’en est venue en assistant au concert d’un ensemble que je ne connaissais pas, la “Symphonie de poche” et son chef Nicolas Simon. Un petit orchestre de chambre, atypique, violons 1 et 2, alto, violoncelle, contrebasse, quelques vents, accordéon et marimba. Autant dire qu’il y a de l’arrangement de l’air. Nicolas Simon dirige un programme “Europe centrale”, avec des “Danses slaves” de Dvorak comme fil conducteur: il nous explique les rythmes de ces danses tchèques (et -bravo l’artiste- sa voix porte sans micro dans cet auditorium de 2.000 places!), le furiant, la dumka (utilisée aussi par Dvorak dans son trio… “Dumky”), la skocna (moins connue); avec en cerise sur le gâteau deux “Danses hongroises” de Brahms, la 4 (nostalgique) et la 6 (célèbre) dont Nicolas Simon nous apprend que le corpus de ces 21 danses fut orchestré pas seulement par Brahms, Dvorak s’y mit pour les dernières, d’autres s’y mirent aussi. Danses à la hongroise selon le rythme “lassu/ frisz” typique de la musique tzigane (lent/ effréné) et qu’on retrouve dans les “Rhapsodies hongroises” de Liszt, le tout premier.

Et voici donc que m’a touché alors l’effet “madeleine de Proust”. N’ayant absolument rien dans ma généalogie de ces pays d’Europe centrale -Hongrie, Autriche, Bohème, Moravie, Slovaquie- j’ai toujours éprouvé pourtant une immense tendresse pour ces rythmes, ces langues, ces lieux, ces écrivains, de même qu’au jeu fameux du “compositeur non reconnu à sa juste valeur”, je cite sans hésiter “Dvorak” (Schubert, ce n’est plus exactement vrai) Mes origines musicales (mes premiers coups de coeur qui m’ont fait aimer la musique), elles viennent de ces contrées-là d’Europe.

Et les souvenirs remontent pendant que ces musiques sont jouées . Deux garçons et deux filles (non, aucun détail!), dans une 4L orange en 1977, roulent en Allemagne, passent la frontière tchèque, dans la nuit profonde traversent une ville sans lumière (ils apprendront que c’est Pilsen, 200.000 habitants), arrivent comme ils peuvent à Prague. Au centre de Prague. Façades lugubres, un lampadaire fatigué, personne dans les rues, il est 10 heures du soir quand même. Ils réussissent à gagner leur hôtel sans trop savoir comment.

Mais l’un d’entre eux a un autre désir que ses camarades, en-dehors de la visite d’une cité qui suinte la tristesse, presque le désespoir, dix ans après l’échec du Printemps de Prague. Un autre désir que de visiter la si belle église Notre-Dame du Tyn (dans la ville basse), fermée pour d’éternels travaux dans un pays officiellement athée, sauf qu’une vieille femme moustachue entrouvre pour eux une porte dérobée qui leur permet de jeter un coup d’oeil à ce lieu interdit. Interdit comme beaucoup d’autres, le cimetière juif où, de mémoire, repose Kafka. L’un d’entre eux donc (moi-même, vous l’avez compris) veut rapporter en France des microsillons qu’il ne sait où trouver de ces compositeurs qu’il adore -le quatuor Dvorak-Smetana-Janacek-Martinu-, ces disques épais de marque Supraphon (la marque d’Etat) qu’il va dégoter il ne sait où (dans la Ruelle d’or, derrière le château où niche le président de la République, le sinistre Gustav Husak?), des “Chants bibliques” de Dvorak, des “Cantates profanes” de Martinu, avec des textes uniquement tchèques (même pas en russe, le grand “protecteur”), qu’un dictionnaire approximatif ’éclairera: sujets donc qui mettent en scène des coqs, des poules ou des dindons avec un chien ou un renard. Dvorak, un de mes dieux (je ne sais toujours pas le titre exact de ces oeuvres que je conserve encore après 46 ans), Martinu dont le “Concerto pour piano Incantation” qu’on ne joue jamais avait été un de mes chocs -et j’eus le bonheur de l’entendre à Nantes par Claire Désert… Claire, un immense merci.

Square nantais D.R.

Voilà. Quand Deborah Nemtanu apparut pour la partie hongroise du programme -la “1e Rhapsodie” de Bartok (lassu/ frisz) et les “Airs bohémiens” de Sarasate, sur des thèmes tziganes aussi), le bonheur fut là aussi mais moindre. De Prague nous avions filé à Budapest, nettement plus moderne (des publicités, des vieux salons de thé hantés par des jeunes gens fin de race à chevalière, des petits kiosques dans les parcs où l’on vendait des hot-dogs) mais ma moisson (marque Qualiton) s’était limité là, et sans difficulté, à un Bartok de jeunesse et à deux Kodaly que je pouvais trouver en France)

Autre déception, mais cette fois l’autre soir (retour à la réalité après ma rêverie), pourquoi diable nous offrir un bout seulement du “Tzigane” de Ravel (même “lassu/frisz”), la fin, 4 minutes d’une oeuvre qui en dure 10 à peine, composé pour une jeune violoniste hongroise, mademoiselle Jelly d’Aranyi?

Soyons donc plus global et cessons de parler de moi. Ce thème étrange des “origines”, certains essaient de le traiter. “Le folklore hongrois chez Schubert et Brahms” par l’excellent duo de piano Geister: on y est encore. Dana Ciocarlie qui revient sur les oiseaux: c’est facile mais c’est très beau. Mais beaucoup jouent comme ils ont envie. François-Frédéric Guy, remarquable dans le “1er concerto de Brahms” : origine de quoi? Ou peut-être de la vocation du pianiste? Les jeunes femmes du “Quintette Belem” et qui sont bien françaises, flûte, harpe, violon, alto et violoncelle, dans un Villa-Lobos si ensoleillé et qui sent le sable; et dans un Jean Cras composé peut-être sur son bateau, avec des rythmes indochinois qui démarrent sans crier gare. Les origines, ah! bon?

Quant aux Estoniens du choeur “Vox Clamantis” qui reviennent à Nantes tous les ans avec autant de succès, ils chantent ce qu’ils ont toujours chanté. Bon, d’accord, c’est grégorien, ou c’est en mode grégorien avec Bruckner, Duruflé ou “leur” Arvo Pärt. Oui, d’accord, le grégorien, ce sont les origines de la musique occidentale. On va concéder que c’est dans leurs gènes et qu’ils ne l’ont pas fait exprès.

La folle journée de Nantes, jusquà dimanche 4 février.



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