“La folle journée de Nantes”: la musique des villes.
A Nantes, la “Folle journée” commence demain 29 janvier. Pour ce qui demeure la plus grande manifestation de musique classique en France, son directeur artistique, René Martin, a conçu cette année une thématique autour de quelques villes au temps de leur apogée musicale. Ainsi Paris, Londres, Venise, Vienne et New-York seront à l’honneur mais pas seulement elles, dans leur ombre, si l’on veut, d’autres cités de prestige qu’éclaireront pour nous jusqu’à dimanche près de 300 concerts et des conférenciers…
“Villes phares”, c’est le titre qu’a choisi René Martin pour -déjà- cette 31e édition qui, c’est évident, va encore réunir à Nantes une foule nombreuse. Avec cependant quelque chose de nouveau: oubliés les thèmes qui nous plongeaient dans une époque (le baroque italien par exemple), une école musicale (musique russe, musique française), un univers (Beethoven et ses contemporains, Schubert et ses amis, la génération 1810) puis, ces dernières années, des thématiques (la passion, la danse, l’exil) Une autre forme, donc, cette année, d’histoire musicale, ces moments où certaines villes ont bénéficié musicalement d’une concentration de talents qui les a fait rayonner plus que d’autres. Ainsi de Venise au XVIIe siècle, quand, dans la lignée de Monteverdi, va arriver toute une école dans les églises et les couvents dont le plus beau, le plus fameux représentant, sera Vivaldi. Ainsi de Londres au siècle suivant où la figure de l’Allemand Haendel, devenu plus anglais que nature, ouvre à la visite d’un Haydn ou d’un des fils de Bach, le “Bach de Londres”, Jean-Chrétien.
Evidemment Vienne suivra, et pour une très longue période qui se prolonge encore aujourd’hui grâce à son opéra et au prestige de son orchestre philharmonique (voir ma dernière chronique). Une Vienne (donc une Autriche) qui, non contente d’avoir vu naître Haydn, Mozart, Schubert, les Strauss, Bruckner ou Mahler, accueillera dans ses murs des Allemands qui s’y sentaient bien, un Beethoven, un Brahms. L’explosion de Paris comme ville des impressionnistes à la fin du XIXe siècle se doublera d’une efflorescence musicale qui, après que Berlioz eut été laissé un peu seul, verra, dans la lignée d’un Gounod, surgir Saint-Saëns, Bizet, Chausson, Dukas, Fauré, Debussy, Ravel ou Roussel, on en oublie -ville-phare et d’abord ville-lumière puisqu’elle est appelée ainsi. Sans compter une tradition d’accueil, en particulier des Espagnols qui vinrent chercher le succès à Paris, Albeniz, Granados ou Manuel de Falla.
Ce sera enfin, de l’autre côté de l’Atlantique, la plus grande cité américaine, à ce moment d’après la première guerre mondiale où la marche du monde, d’une Europe si blessée et à peine convalescente, va passer aux Etats-Unis: création de grands orchestres (New-York, justement, mais aussi Boston, Chicago, Philadelphie, Los Angeles), d’une école (autour de Gershwin, puis Bernstein, Copland, Barber) qui s’enrichira d’exilés par la guerre suivante ou par d’autres troubles européens -Rachmaninov, Bartok, Martinu, Kurt Weill, Darius Milhaud. Avec bien sûr l’apport de styles musicaux nés ou s’étant développés en Amérique -le jazz, la comédie musicale.
Programme ambitieux, richissime, évidemment passionnant. Mais qui pose quelques questions: comment y faire entrer certains musiciens dont une “Folle journée” universelle ne peut évidemment se passer, un Bach par exemple? Alors on invente un sous-texte, des sous-titres, “Une journée à” qui est une compensation quand on ne peut dire “un siècle”. Donc à Leipzig, puisque c’est là (non à Berlin, Dresde ou Munich, autres villes allemandes musiciennes, ô combien!) qu’oeuvra Bach, mais aussi Mendelssohn ou Wagner ou Liszt qui s’y retrouvaient dans les cafés. A Prague, Budapest ou Saint-Pétersbourg, où s’incarnèrent les prestigieuses écoles tchèque, hongroise, et russe évidemment (le groupe des 5, Tchaïkovsky ou, habilement, Chostakovitch, à cause de cette fameuse symphonie “Leningrad” en hommage au terrible siège que subit la ville) Bien sûr on ne pouvait tout mettre. Berlin, donc, passe à l’as. Aussi Naples qui pourtant était une immense capitale musicale, plus encore que Venise, mais avec moins de noms prestigieux. Et tant pis pour Oslo (d’ailleurs Grieg, c’est Bergen), Helsinki, Bucarest, qui ne nous ont envoyé qu’un compositeur, Grieg donc, Sibelius ou Enesco. Quant à Chopin, il trouvera sa place en-dehors, lui qui est devenu si universel, jusqu’à la lointaine Asie.
Et ce n’est finalement pas le plus important. Le plus important ce sont tous les concerts et le plaisir, le bonheur même, qu’on va y prendre. Avec ce mélange d’habitué (e)s, Anne Queffélec, Marie-Ange Nguci, Paul Lay (pour la touche jazz), la musique de l’Air, Philippe Pierlot (pour des “Vêpres de la Vierge” de Monteverdi) et tant d’autres, et de nouvelles pousses, des pianistes comme souvent, qu’on retrouvera à Meslay ou à La Roque-d’Anthéron sans doute, Marina Saïki, Charles Heisser (fils de?), Sophia Liu, Clément Lefebvre, Jorge Gonzalez Buajasan (qui ne jouera pas d’Espagnols mais Schubert) ou Gabriel Durliat. A noter aussi des camarades des Arts Florissants qu’on n’avait guère vus (si mes souvenirs ne me trahissent pas), un Théotime Langlois de Swarte qui donnera, en formation (très) réduite, “Les 4 saisons”, ou un Justin Taylor (“Monsieur Desandre” et claveciniste)
Et tant d’autres…
Il y aura aussi “une journée à Alep” . Musiciens syriens, étaient-ils prévus de longue date ou invités en un dernier moment qui célèbre le retour (durable, souhaitons-le) à la liberté -de penser, de créer, de jouer? Dans un monde qui est devenu, en beaucoup de domaines, un village, ouvrir nos oreilles pétries de musique occidentale à d’autres écritures qui inspireront peut-être, dans ce sens-là, certains de nos compositeurs, ce sera, en tout cas, à écouter de près…
“La folle journée”, 31e édition: “Villes phares”, Cité des Congrès et Grand Auditorium de Nantes (44000) du 29 janvier au 2 février.