“Les fêtes d’Hébé” de Rameau, mises en scène et mises en Seine.

Charmant spectacle à l’Opéra-Comique que ces “Fêtes d’Hébé”, par deux connaisseurs (et complices) en la matière, Robert Carsen à la mise en scène, William Christie à la baguette, fringant jeune homme de… pas tout à fait 80 ans, il les aura dans deux jours. Mais j’en reparlerai aussi…


En selfie: Marc Mauillon, Ana Vieira Leite, Lea Desandre © Vincent Pontet



Et justement, dans son joli livre d’entretiens, “Cultiver l’émotion” paru il y a quelques années chez Actes Sud, Christie revient sur cette étrangeté que ce soit lui, le petit Américain, qui ait remis en lumière le génie de Rameau, négligé en France puisque “Rameau était très rarement joué, et très mal” (cela fit plaisir au monde musical de l’époque!) alors que pour lui “Rameau est l’un des plus grands compositeurs du XVIIIe siècle”. Il ajoute (cela valait pour il y a trois ans, cela vaut toujours pour aujourd’hui) “J’aimerais continuer à explorer les chemins que nous avons tracés (avec Les Arts Florissants). Il faut que je continue Rameau, c’est important pour moi” En soulignant toutes les oeuvres qui, en-dehors de “Platée” et des “Indes Galantes” sont encore ignorées, oubliées. Ces “Fêtes d’Hébé” en font sans doute partie, qui eurent un si grand succès en 1739 qu’elles suscitèrent nombre de parodies. Depuis, le silence.

Bon. L’intrigue est simplette. Mais transcendée par la mise en scène très inventive de Robert Carsen et aussi par l’art et l’énergie qu’y met Christie à la tête de “son” orchestre, ne laissant à personne, même pas à son fidèle Paul Agnew, le soin de diriger son cher Rameau. Entouré qu’il est, de plus, de ses chanteurs préférés et de son choeur, qui s’amusent beaucoup eux aussi.

Sappho (Lea Desandre) et Alcée (Lisandro Abadie) près du Pont-Neuf © Vincent Pontet

Qui est cette Hébé? Au XVIIIe siècle, féru de mythologie grecque et romaine, on la connaissait, déesse mineure de la Jeunesse, chargée aussi de servir le nectar aux dieux. Mais voici qu’elle le renverse sur Jupiter, qui la chasse de l’Olympe. Insert de ma part sur la mise en scène de Carsen, qui s’ouvre par une réception où notre Jupiter à nous, accompagné de madame, reçoit élyséennement avant qu’Hébé -une extra- ne renverse à son tour un rouge cocktail sur la robe blanche de l’épouse. Hébé aussitôt renvoyée. Et voyez comme Carsen joue intelligemment: c’est à nous, comme Jupiter et madame sont de dos, de les reconnaître, de sorte que les rires naissent peu à peu de notre intuition. Art du gag que Tati savait utiliser, quand on cherchait dans un plan fixe où se trouvait l’absurde ou le burlesque sans jamais qu’il soit souligné.

Chassée ainsi -et cela c’est dans Rameau et dans le livret du sieur Antoine-César Gautier de Montdorgé- Hébé, aidée d’un autre dieu mineur, Momus, dévolu à la Raillerie et à la Fête, mais aussi de l’Amour et de quelques nymphes, va s’installer chez les humains où l’on sait s’amuser, particulièrement au bord de la Seine, à Paris -il y avait d’ailleurs une nymphe de la Seine, Racine lui a composé une ode! Et pour accueillir Hébé (qui est tout de même déesse, elle a fréquenté le dieu des dieux), les Parisiens lui présentent des divertissements exaltant la jeunesse et les plaisirs autour de la Poésie, de la Musique et de la Danse.

Le ballet des footballeurs. Au fond Lycurgue (Cyril Auvity) et Iphise (Lea Ddesandre) © Vincent Pontet

Les intrigues sont simplettes: Sappho est amoureuse d’Alcée mais celui-ci part en exil. Thélème la courtise mais on découvre que c’est lui qui a intrigué contre son rival. Les deux amants se retrouveront (la Poésie) Iphise doit épouser Tyrtée mais Tyrtée part à la guerre avec les Lacédémoniens et Iphyse, fille du roi, devra épouser le vainqueur. Evidemment le vainqueur sera Tyrtée (La Musique) Eglé doit choisir un époux: elle tombe amoureuse d’un berger mais est-il digne de son rang? Oui car en berger s’est déguisé le dieu Mercure qui, lui aussi, flânait sur les bords de la Seine.

On est en 1739 et la capitale de la France est à Versailles. Mais justement: le théâtre des plaisirs, nous dit Rameau, est évidemment à Paris. A Versailles on s’ennuie ferme. Il y a un premier ministre de 96 ans, le bon et prudent cardinal de Fleury, et un roi de 28 ans qui, ayant engrossé sa femme 10 fois en 10 ans -et on ne peut lui reprocher de négliger son devoir conjugal- verra la 11e année porte close du côté de sa légitime. C’est à partir de là que Louis XV, dont on savait déjà les besoins, commencera la litanie des maîtresses connues, Madame de Châteauroux, madame de Pompadour, madame Du Barry, tant d’autres…

Et encore la street dance © Vincent Pontet

D’où le succès des “Fêtes d’Hébé” puisqu’à Paris l’on s’amuse et, comme c’est un opéra-ballet on a convoqué les plus célèbres chanteuses et danseuses de l’époque. En restant donc près de la Seine Carsen ne trahit personne. Il se contente d’utiliser l’actualité, fort riche, de l’été et c’est très inventif, jusqu’au gag final directement puisé dans une certaine cérémonie qui nous fit triompher aux regards du monde. Mais encore… ah! ce Paris Plage où les chanteurs-figurants nous offrent un ravissant festival de chemises et bermudas hawaïens. Ce mariage près du pont Neuf où se croisent les robes pastel -bleu lavande, vert amande, rose fuchsia. Et cette guinguette (avec food-truck) en face de Notre-Dame -la Notre-Dame “d’avant”- où se glisse Mercure, un Mercure qui était coutumier, nous dit la mythologie, de se mêler aux humains, lui, préposé aux voleurs, aux marchands, au commerce, à tous ces gens qui tracent ou traçaient la route, encore plus aux temps des Romains et des Grecs.

Mais, ajoute Christie dans son livre: “La valeur sûre, chez Rameau, c’est la musique, pas le livret”. Musique inventive, énergique, inspirée aussi, dans toutes les danses qui rythment ces “Fêtes d’Hébé”, des airs populaires mais si admirablement revus, façon “grande musique”. Et, bien sûr, opéra-ballet signifiant ballet, on louera la chorégraphie remarquable de Nicolas Paul qui ne ménage pas les danseurs. On a moins aimé, cest vrai, le dernier acte qui rappelle un peu trop la street dance et le voguing des “Indes Galantes” de l’Opéra-Bastille il y a quelques années. Mais en revanche qu’il est intelligent et émouvant le ballet des footballeurs qui font tous les gestes (chorégraphiés) des joueurs autour d’un ballon imaginaire -si bien imaginé qu’il en devient pour nous réel!

A la sortie de l’Elysée l’Amour (Ana Vieira Leite) pose près de Momus (Marc Mauillon) © Vincent Pontet

Toujours ces musiciens réactifs, malgré le train d’enfer où William Christie les entraîne parfois. Et des chanteurs -certains dans de multiples rôles- qui le connaissent et l’aiment. L’Hébé d’Emmanuelle de Negri a bien de l’humour l’abattage, avec des aigus parfois en difficulté. Ana Vieira Leite, surtout en Amour, est exquise et très drôle et remarquable dans tous les registres vocaux. Lea Desandre tient les trois rôles d’amoureuse, elle les caractérise avec sensibilité. Rôles plus mineurs de Cyril Auvity ou Antonin Rondepierre, très bien en Thélème même s’il joue difficilement les méchants. Lisandro Abadie peine un peu dans les aigus mais il est un amoureux ombrageux très crédible. Renato Dolcini, en Tyrtée fiérot, ne tient pas toujours le rythme mais la vis comica est bien là; quant à Marc Mauillon, discret Momus, il revient en Mercure éblouissant, par le charme de cette voix au timbre si caressant. J’oubliais aussi de citer Gideon Davey. Il n’est pas chanteur, c’est le costumier et l’auteur des décors.

Un dernier mot encore sur Carsen car, sur la scène pas si large de l’Opéra-Comique, il réussit aussi à faire bouger tout ce petit monde, parfois fort nombreux, car après tout la fête, quand on est tout seul, ça ne sert à rien. Exploit donc, où chacun s’amuse, a quelque chose à faire, s’occupe… parfois à se faire bronzer dans un transat mais à chaque fois de manière différente. C’est à cela aussi qu’on reconnaît un vrai metteur en scène: faire en sorte que chaque figurant se sente aussi respecté que la vedette. De sorte que presque 300 ans plus tard les fêtes d’Hébé trouvent comme héritières les fêtes d’Anne ou d’Emmanuel.

(Même si ni Anne ni Emmanuel n’en sont véritablement les auteurs).






“Les fêtes d’Hébé” de Jean-Philippe Rameau, mise en scène de Robert Carsen, direction musicale de William Christie. Opéra-Comique, Paris, les 17 et 21 décembre à 20 heures, le 19 décembre à 19 heures.

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