Un concert de clavecin sous Louis XIV -avant l’arrivée de Mozart!

Deux Cd explorant deux siècles autour du clavier, celui d’une certaine Mlle Certain au Grand Siècle, celui d’un jeune homme un peu plus connu au siècle suivant, prénom Wolfgang Amadeus, mais au pianoforte. Et, même avec Mozart, de l’inattendu…


Mathilde Mugot © Alain Chudeau



Le premier Cd intrigue d’emblée par son titre: “Le salon de la rue du Hasard -Mlle Certain, claveciniste du Grand Siècle” Hommage, donc, rendu à une femme oubliée (comme tant d’autres) par Mathilde Mugot, jeune claveciniste lauréate de la Fondation Royaumont et qui fait preuve ici et ailleurs d’une belle curiosité (elle est aussi violoncelliste)

Mugot rend donc hommage à Mlle Certain, Marie-Françoise de son prénom, qui tenait vraiment salon dans la rue du Hasard. Celle-ci se trouvait dans le prolongement, ou voisine, de la rue Thérèse qui l’absorba peu après. Donc fort près du Palais-Royal, coeur du Paris de l’époque mais aussi du domicile de celui qui faisait la loi dans la musique, monsieur Lully. Celui-ci prit Certain comme élève, il est possible que ce fût elle aussi qui assurait de son clavecin certaines répétitions des opéras du maître.

Elle était fille d’un vieux père qui mourut quand elle avait neuf mois et d’une mère bien plus jeune, de petite et pauvre noblesse normande, qui éleva sa fille dans le souci de la liberté des femmes, ce qui n’était pas vraiment la tendance du temps. D’où des calomnies, des accusations pour la mère et la fille (qui vivaient sous le même toit) d’une existence de débauche, d’autant qu’entre les talents musicaux de la fille (qui faisait payer assez cher ses leçons) et d’heureux placements de la mère, leur aisance financière pouvait attirer des convoitises à rebours. Marie-Françoise eut quelques amants prestigieux mais rien que de très normal. Elle tenait un salon confortable, grands rideaux rouges, tapis de Turquie, paravents peints, y donnant des concerts strictement privés mais très recherchés, les femmes de l’époque ne pouvant prétendre, même talentueuses, à des emplois publics. A-t-elle joué à la cour? Devant le roi, puisque proche de Lully? On ne sait. Mais tous les musiciens se pressaient pour lui apporter leurs partitions qu’elle défendait avec un beau succès.

La Fontaine, qui l’aimait beaucoup, écrit que ses talents de claveciniste “surpassent ceux des Couperins ou de Chambonnières” Et d’un certain Jacques Hardel, oublié (il n’y a donc pas que les femmes), mort à 35 ans, dont une “Suite en ré” ouvre le Cd. Suite selon la série des danses de l’époque, Allemande, Courante, Sarabande, Gigue, Gavotte, comme chez Bach, la France et l’Allemagne avaient les mêmes références. L’oeuvre est solennelle, très Lully, avec des accents tristes derrière une écriture Grand Siècle. C’est presque de l’orgue pour clavecin. Sauf dans la Gavotte conclusive où l’on retrouve vraiment l’esprit de la danse.

Mathilde Mugot © Ansemblartifices



Chambonnières, justement, est absent, sinon sous forme de son “Tombeau”, pièce grave de d’Anglebert, le plus représenté en deux séries d’oeuvres brèves, toujours pénétrées du sérieux du compositeur. Une Suite de la fameuse Elisabeth Jacquet de la Guerre, qui partageait le talent de claveciniste avec mademoiselle Certain mais celle-ci, semble-t-il, ne composait pas. Jacquet, avec force, une lumière (registre haut de l’instrument), se différencie de ses camarades hommes, où Couperin ensuite, dans ses portraits (La Ménetou, La Séduisante, Les Papillons), développe une belle complexité d’écriture que la jeune Mathilde Mugot sait défendre.

La Ménetou était d’ailleurs aussi une compositrice dont on entendra deux pièces inspirées de la carte du Tendre. Les oeuvres défendues par Mugot faisaient toutes partie de la bibliothèque de Mlle Certain, celle-ci les a donc jouées. Le reproche que l’on fera (mais ce n’est pas non plus les musiques qu’on préfère) tient à une certaine uniformité due surtout à un style de l’époque que Couperin commence un peu à rompre, sans parler de Rameau que mademoiselle Certain a eu le temps d’entendre et peut-être de jouer sur un de ses deux clavecins, un Ruckers, qui est à l’instrument ce que Stradivarius est aux violons. Certain mourut brusquement à moins de 50 ans, en 1711. C’était encore le temps du Roi-Soleil. Soleil déclinant.

Traversons le siècle. 66 ans plus tard: Mozart a 21 ou 22 ans. Jérôme Hantaï a la bonne idée d’ouvrir son Cd par cette “sonate K.309” (ou 284b), la 7e, pas très connue mais déjà si Mozart. Jérôme Hantaï, le frère aîné de l'illustre Pierre et qui forme avec celui-ci et un troisième frère, Marc (à la flûte traversière), un trio baroque (mais comme Pierre est claveciniste, Jérôme alors reprend son instrument d’origine, la viole de gambe), se montre ici un fortepianiste de la plus belle eau. Il entremêle aux deux sonates qu’il nous présente (la K. 309 et la bien plus connue K. 333, la 13e) les trois “Rondos”: le galant K. 485, le plus profond (et joué avec beaucoup de retenue par Hantaï) K. 494, avec ses mélodies graves -la tonalité de fa majeur est presque une tromperie; enfin l’admirable K. 511 -comme toutes les oeuvres en mineur de Mozart (la mineur ici) où le génie ouvre sous nos pas (ou nos oreilles) des abîmes de profondeur douloureuse.

Jérôme Hantaï © Jean-Baptiste Millot

La très jolie sonate K. 309 fut écrite à Mannheim pour Rose, la fille âgée de 13 ans du maître de chapelle du Prince-Electeur de la ville, le compositeur Christian Cannabich, que Mozart, par ailleurs, admirait beaucoup. Il y a déjà, dans un adagio à la portée technique d’une jeune fille de ce temps-là, une vraie profondeur, et bien de la finesse dans l’allegro initial comme dans le Rondeau (ainsi écrit, à la française) final, qui sonne effectivement comme une ronde très française…

On ne sait ce que Rose pensa du cadeau, on connaît cependant le jugement de Nannerl, la grande soeur de Wolfgang: “L’andante demande beaucoup d’attention et de grâce. La sonate me plait beaucoup”. Nannerl la joua sûrement mais elle ne fit pas la carrière de la Certain, cela ne se faisait pas dans l’Autriche de l’époque et d’ailleurs Papa Mozart lui interdisait aussi de composer, ce n’était pas une destinée pour les femmes. De fait, tout ce qu’elle écrivit avant cette interdiction (des partitions appréciées par son frère) a disparu.

Jérôme Hantaï joue tout cela avec une élégance et une présence technique qui eût d’autant plu à Mozart que ses oeuvres étaient conçues pour ce type d’instrument. Evidemment, depuis, nous avons connu le piano moderne, sa profondeur, son moelleux. Et si les mouvements rapides trouvent une belle résonance sous les doigts d’Hantaï, il est obligé de “frapper” les touches exagérément dans les mouvements lents pour respecter les lignes mélodiques, leur enlevant du coup de la poésie et du mystère. D’autant que nos oreilles ont pris d’autres habitudes.

Hantaï a dû s’en rendre compte pour le K.511 où il compense l’absence d’ambitus par une très belle attention aux silences, aux respirations. Et l’on avait entendu juste avant une courte pièce assez magique d’une suite “à la manière de Bach” que Mozart n’acheva jamais. Il n’en reste que cette “Allemande”, danse lente: faîtes-la écouter autour de vous “à l’aveugle”. On vous dira Bach ou l’un de ses fils pour le début. Et très vite, Scarlatti, dont ce pourrait être la 556e sonate. Pour ces 4 minutes magiques (mais pas seulement) ce Cd est une vraie bonne action.




Le salon de la rue du Hasard (Mlle Certain, claveciniste du Grand Siècle): oeuvres de Hardel, d’Anglebert, Jacquet de la Guerre, Lully, Couperin, Mlle de Ménetou et anonymes. Mathilde Mugot, clavecin. Un Cd Seulétoile.

Mozart: Sonates K. 309 et 333. 3 Rondos K. 485, 494 et 511. Suite K. 399. Jérôme Hantaï, pianoforte. Un Cd Mirare.










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